SENS
Shakespeare’s Narrative Sources: Italian Novellas and Their European Dissemination
Histoire Troisième – Diplomatic Edition 1559
5
10
15
20
25
30
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
55
60
65
70
75
80
85
90
95
100
105
110
115
120
125
130
135
140
145
150
155
160
165
170
175
180
185
190
195
200
205
210
215
220
225
230
235
240
245
250
255
260
265
270
275
280
285
290
295
300
305
310
315
320
325
330
335
340
345
350
355
360
365
370
375
380
385
390
395
400
405
410
415
420
425
430
435
440
445
450
455
460
465
470
475
480
485
490
495
500
505
510
515
520
525
530
535
540
545
550
555
560
565
570
575
580
585
590
595
600
605
610
615
620
625
630
635
640
645
650
655
660
665
670
675
680
685
690
695
700
705
710
715
720
725
730
735
740
745
750
755
760
765
770
775
780
785
790
795
800
805
810
815
820
825
830
835
840
845
850
855
860
865
870
875
880
885
890
895
900
905
910
915
920
925
930
935
940
945
950
955
960
965
970
975
980
985
990
995
1000
1005
1010
1015
1020
1025
1030
1035
1040
1045
1050
1055
1060
1065
1070
1075
1080
1085
1090
1095
1100
1105
1110
1115
1120
1125
1130
1135
1140
1145
1150
1155
1160
1165
1170
1175
1180
1185
1190
1195
1200
1205
1210
1215
1220
1225
1230
1235
1240
1245
1250
1255
1260
1265
1270
1275
1280
1285
1290
1295
1300
1305
1310
1315
1320
1325
1330
1335
1340
1345
1350
1355
1360
1365
1370
1375
1380
1385
1390
1395
1400
1405
1410
1415
1420
1425
1430
1435
1440
1445
1450
1455
1460
1465
1470
1475
1480
1485
1490
1495
1500
1505
1510
1515
1520
1525
1530
1535
1540
1545
1550
1555
1560
1565
1570
1575
1580
1585
1590
1595
1600
1605
1610
1615
1620
1625
1630
1635
1640
1645
1650
1655
1660
1665
1670
1675
1680
1685
1690
1695
1700
1705
1710
1715
1720
1725
1730
1735
1740
1745
1750
1755
1760
1765
1770
1775
1780
1785
1790
1795
1800
1805
1810
1815
1820
1825
1830
1835
1840
1845
1850
1855
1860
1865
1870
1875
1880
1885
1890
1895
1900
1905
1910
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
2025
2030
2035
2040
2045
2050
2055
2060
2065
2070
2075
2080
2085
2090
2095
2100
2105
2110
2115
2120
2125
2130
2135
2140
2145
2150
2155
2160
2165
2170
2175
2180
2185
2190
2195
2200
2205
2210
2215
2220
2225
2230
2235
2240
2245
2250
2255
2260
2265
2270
2275
2280
2285
2290
2295
2300
2305
2310
2315
2320
2325
2330
2335
2340
2345
2350
2355
2360
2365
2370
2375
2380
2385
2390
2395
2400
2405
2410
2415
2420
2425
2430
2435
2440
2445
2450
2455
2460
2465
2470
2475
2480
2485
2490
2495
2500
2505
| HISTOIRES TRAGIQVES EXTRAICTES DES oevvres italiennes de Bandel , & miſes en noſtre langue Françoiſe , par Pierre Boaiſtuau ſur- nommé Launay, natif de Bretaigne.
Dediées à Monſeigneur Matthieu de Mauny, Abbé des Noyers.
A PARIS, Pour Vincent Sertenas tenant ſa boutique au Palais, en la galerie par ou on va à la Chancellerie: Et à la rue neufue Noſtre dame,à l’ẽſeigne S.Iean l’Euãgeliſte. 1559. Auec Priuilege.
EXTRAICT DV PRIVILE- ge dv roy.
Par grace & priuilege du Roy,eſt permis à Vincent Sertenas Libraire en l’Vniuerſité de Paris, d’impri- mer ou faire imprimer,vẽdre & diſtribuer vn liure inti- tulé,Hiſtoires Tragiques,extraictes des œuures Italien- nes de Bãdel,&miſes en noſtre lãgue Frãçoiſe par Pierre Boaiſtuau ſurnõmé Launay,natif de Bretaigne. Et faict ledit Seigneur defenſes à tous Libraires & Imprimeurs, de nõ imprimer ou faire imprimer, vẽdre ne diſtribuer en ſes pays, terres & ſeigneuries,autres que ceux qu’au- ra imprimez ou faict imprimer ledict ſuppliant ſur pei- ne de confiſcation deſdicts liuvres, & des deſpens dõma- ges & intereſts audict ſuppliant,iuſques au temps & ter- me de ſix ans, à compter du iour & date qu’ils ſeront a- cheuez d’imprimer,ainſi qu’il eſt coutenu es lettres pa- tentes dudict ſeigneur, données à Paris le xvij. iour de Ianuier. L’an 1558. Signé Hurault,& ſeellées en ſim- ple queue de cire iaulne.
A MONSEIGNEVR matthiev de mavny, Abbé des Noyers, Pierre Boai- ſtuau treshumble ſalut.
M Onſeigneur , depuis les tristes nouuelles que vous entendiſtes dernierement,eſtant en ceſte cité, ie ne ceſ- ſay de rechercher en- tre mes plus chers eſcrits,ſ’il ſe pourroit preſenter quelque choſe qui donnaſt treues à voz nouueaux ennuiz. Et apres auoir conſideré,que la philoſophie eſtoit la vraye medecine de toutes les plus cruelles paßiõs de l’ame: & à laquelle les anciens, entre leurs plus aſpres tribulations,ont touſiours eu leur refuge. Ie propoſay de vous preſen- ter mon Theatre du Monde, lequel com- bien qu’il ſoit cõtrainct,& que le diſcours en ſoit bref,ſi eſt-ce que le Chreſtien diligẽt trouuera vn aſſez ample ſubiect en quoy ſ’exercer:Car ſoubs l’eſcorce d’vn petit mõ- ceau de parolles , aſſez mal agencées , les Rois , Princes, Pontifes , Empereurs, & Monarques , & generalement tous ceux qui font traffique en la boutique de ce mõ- de,peuuent contempler par bon ordre quel rolle ils iouënt en ce theatre humain : Car lors que la mort(meſſagere implacable de Dieu)vient, & qu’elle met fin à leur tra- gedie, ils recognoiſſent leurs infirmitez & miſeres,& confeſſent eulx-meſmes ceulx eſtre plus heureux , qui les yeulx fermez les attẽdent au ſepulchre, que ceulx qui les yeulx ouuerts les experimẽtent en la terre: Dequoy vous auez faict vne aſſez viue eſ- preuue, en vous-meſmes , par la nouuelle perte de Monſeigneur l’Archeueſque de Bordeaux voſtre oncle, lequel apres auoir franchy tant de perilleuſes peregrinations, & domptétãt de trauerſes de fortune,pen ſant faire ſa retraicte des vanitez du mon- de, estant quaſi au premier ſomme de ſon aage,ou la vie luy deuoit eſtre plus doulce, la mort neantmoins au deſpourueu a tou- ché au marteau de ſa porte,& a tranché le fi let de ſa vie,auec vn eternel regret,non ſeulement de vous & des voſtres, ains de toute noſtre republique Francoiſe : en la- quelle il a ſi bien grauée la mémoire de ſes heroiques vertuz, que le tẽps, qui dompte toutes choſes,ne l’en pourra iamais effacer. En conſideration dequoy,Monſeigneur,il m’a ſemblé, conuenable à voſtre fortune, vous faire maintenant offre de ie ne ſçay quoy de plus gay, à fin d’adoulcir,& don ner quelque relaſche à voz ennuiz paſſez. Et n’ayant pour le preſent autre choſe en main digne de vous, que ce traicté d’hiſtoi- res,i’ay prins la hardieſſe de vous eſlire en- tre tant d’excellents Prelats, deſquels no- ſtre Europe eſt illuſtrée, pour eſtre la guide & aſtre ſoubs l’influence duquel il doibt ſortir en lumiere, eſtant aßeuré que ſ’il eſt fortiffié de l’õbre & ſplendeur de voz di- uines vertuz,& des autres excellẽts orne- ments,deſquels le ciel vous a voulu deco- rer , il ne peult faillir d’eſtre bien receu, & fauoriſé de tous , vous ſuppliant humble- ment le receuoir , cõme courrier honteux, & fidelle teſmoing de quelque choſe de plus grand que ie vous dreſſe pour l’adue- nir, en recognoiſſance de la premiere cour- toiſie que i’ay receu ces iours paſſez de vous, en la conſommation de laquelle con- ſiſte & repoſe du tout le cours ardent,ou la diſcontinuation de mes eſtudes.
ADVERTISSEMENT av lectevr.
B Ening Lecteur, à fin que ie recongnoiſſe par qui i’ay proffité, & que tu reſentes de ta part,à qui tu es te- nu du plaiſir ou con tentemẽt, lequel tu pourras receuoir de ceſt œuure : ie t’ay bien voulu aduertir , que le ſeigneur de Belleforeſt, gentilhomme Comingeois, m’a tãt ſoulagé en ceſte traduction, qu’à peine fuſt elle ſortie en lumiere,ſans ſon ſecours,cõbien que ie ne ſois redeuable à aucun de la diction, de laquelle ie ſuis le ſeul autheur. Si eſt-ce que pour tirer le ſens des hiſtoires Italiennes il m’a telle- ment ſoulagé, que nous ſerions ingrats & toy & moy,ſi nous ne luy en ſçauions gré.Mais d’autant que i’eſpere, qu’il te fe ra voir le ſecond Tome bien toſt en lu- miere,traduict de ſa main: Ie me depor- teray de faire plus long diſcours de ſes loüanges, leſquelles( pour ſes merites )ie deſirerois eſtre auſsi bien publiées par tout,cõme elles me ſont congneuës, & à tous ceux qui le frequentent. Te priant au reſte, ne trouuer mauuais, ſi ie ne me ſuis aſſubiecty au ſtile de Bandel: car ſa phraſe m’a ſemblé tant rude , ſes termes impropres,ſes propos tant mal liez,& ſes ſentences tant maigres, que i’ay eu plus cher la refondre tout de neuf, & la re- mettre en nouuelle forme, que me ren- dre ſi ſuperſtitieux imitateur: n’ayãt ſeu- lement pris de luy que le ſubiect de l’hi- ſtoire, comme tu pourras aiſément deſ- couurir,ſi tu es curieux de conferer mon ſtile auec le ſien. Au reſte i’ay intitulé ce liure de tiltre Tragique, encore que (peult eſtre) il ſe puiſſe trouuer quelque hiſtoire , laquelle ne reſpondra en tout à ce qui eſt requis en la tragedie : neant- moins, ainſi que i’ay eſté libre en tout le ſubiect, ainſi ay-ie voulu donner l’inſcri- ption au liure telle , qu’il m’a pleu. Te priant faire telle interpretation de mon labeur que tu voudras receuoir de moy, tenant ma place.
SOMMAIRE DE LA TROIS- iesme histoire.
I e m’aſſeure que ceux qui mesu- rent la grandeur des œuures de Dieu, ſelon la capacité de leur ru- de entendemẽt, n’adiouſteront pas legerement foy à ceste hiſtoire, tant pour la varieté des accidens eſtranges qui y ſont deſcrits, que pour la nouueauté d’vne ſi ra- re & parfaicte amitié : Si eſt-ce que ie puis acer- tener vne fois pour toutes que ie ne inſereray aucu ne hiſtoire fabuleuſe en tout ceſt œuure, de laquel le ie ne face foy par annales et croniques, ou par cõ mune approbation de ceux qui l’ont veu, ou par autoritez de quelque fameux hiſtoriographe, Ita lien ou Latin. Ceux qui ont leu en Pline,Valere, Plutarque & pluſieurs autres qui anciennement il s’eſt retrouué grand nombre d’hommes & de femmes qui ſont morts par vne trop exceßiue ioye,ne feront doute qu’on ne puiſſe mourir par les furieuſes flammes du trop ardent amour ,lequel s’il s’empare vne fois de quelque genereux ſubiect & qu’il ne trouue forte reſiſtance qui luy serue de rampart pour empeſcher la violence de ſon cours , il mine & consomme ſi bien peu à peu les vertuz & facultez naturelles , que l’esprit ſuccombãt au faiz quitte la place à la vie.Ce qui eſt verifié par la piteuſe et infortunée mort de deux amants , leſquels rendirent leurs derniers ſouſpirs en vn meſme ſepulchre à Veronne , au- quel repoſent encores pour le iourd’huy leurs os auec grand merueille: Hiſtoire non moins admi- rable que veritable.
HISTOIRE TROISIESME, De deux amans,dont l’vn mourut de ve- nin, l’autre de triſteſſe.
S i l’affectiõ partticu liere qu’à bõ droict chacũ porte au lieu de ſa natiuité ne vous deçoit,ie croy q̃ vous confeſſerez auecques moy qu’il y a peu de citez en Italie qui puiſſent ſur monter Veronne: Tant à cauſe du fleu- ue nauigable nommé Adiſſe , qui paſſe quaſi par le milieu de la ville,& au moyẽ duquel ſe faict vne groſſe traficque en Allemaigne,comme en ſemblable pour le regard des fertiles montaignes & val- lées delectables qui l’enuironnent, auec vn grand nombre de treſclaires & viues fontaines qui ſeruẽt pour l’aiſe & com- modité du lieu, ſans deduire par le me- nu pluſieurs autres ſingularitez, quatre ponts , & vne infinité d’autres venera- bles antiquitez qui ſe manifeſtent de iour à autre, à ceux qui ſont curieux de les contempler . Ce que i’ay voulu re- chercher vn peu de plus loing , d’autant que l’hiſtoire tres-veritable que ie veux deduire cy apres en depend,& en eſt en- cores pour le iourd’huy la mémoire ſi re- cente à Veronne qu’à peine en ſont eſ- ſuyez les yeux de ceux qui ont veu ce pi- teux ſpectacle. Du tẽps que le ſeigneur de l’Eſcale eſtoit ſeigneur de Veronne, il y auoit deux familles en la cité, qui eſtoient plus renommées que les au- tres, tant en richeſſe qu’en nobleſſe, l’v- ne deſquelles ſ’appelloit les Mõteſches, l’autre les Cappelletz : mais ainſi que le plus ſouuent il y a enuie entre ceux qui ſont en pareil degré d’honneur,auſsi ſur uint il quelque inimitié entr’eux,& com bien que l’origine en fuſt leger & aſſez malfondé,ſi eſt-ce que par interualle de temps il ſ’enflamma ſi bien qu’en diuer- ſes menées qui ſe dreſſerent d’vne part & d’autre, pluſieurs y laiſſerent la vie. Le ſeigneur Barthelemy de l’Eſcale ( du- quel auons ia parlé ) eſtant ſeigneur de Veronne, & voyant vn tel deſordre en ſa republique ſ’eſſaya par tous moyens de reduire & conſilier ces deux ligues, mais tout en vain, car leur haine eſtoit ſi bien enracinée, qu’elle ne pouuoit e- ſtre moderée par aucune prudence ou conſeil, de ſorte qu’il ne peuſt gaigner ſur eux autre choſe que leur faire laiſſer les armes pour vn temps,attẽdant quel- que autre ſaiſon plus opportune, ou a- uec plus de loiſir il eſperoit appaiſer le re ſte. Ce pendant que ces choſes eſtoient en tel eſtat, l’vn des Monteſches, qui ſe nommoit Romeo,aagé de vingt à vingt & vn an,le plus beau & mieux accomply gentilhõme qui fuſt en toute la ieunesse de Veronne,ſ’enamoura de quelque da- moiſelle de Veronne,& en peu de iours fut tellement eſpris de ſes bonnes gra- ces, qu’il habandonna toutes ſes autres occupations pour la ſervir & honnorer. Et apres pluſieurs lettres, ambaſſades & preſens , il ſe delibera en fin de parler à elle, & de luy faire ouuerture de ſes paſ- ſions , ce qu’il fiſt ſans rien practiquer, car elle qui n’auoit eſté nourrie qu’à la vertu luy ſceut tant bien reſpondre,& re trancher ſes affections amoureuſes qu’il auoit occaſion pour l’aduenir de n’y plus retourner, & meſmes ſe monſtra ſi au- ſtere qu’elle ne luy fiſt la grace d’vn ſeul regard,mais plus le ieune enfant la voy- oit retifue , plus ſ’enflammoit , & apres auoir continué quelque moys en telle ſeruitude ſans trouuer remede à ſa paſ- ſion, ſe delibera en fin de ſ’en aller de Veronne pour experimenter ſi en chan- geant de lieu il pourroit changer d’affe- ction, & diſoit en ſoy meſme.Que me ſert d’aimer vne ingrate, puis qu’elle me deſdaigne ainſi?Ie la ſuis par tout,& elle me fuit, ie ne puis viure ſi ie ne ſuis au- pres d’elle, & elle n’a contentement au- cun,ſinon quãd elle eſt abſente de moy. Ie me veux donc pour l’aduenir eſtran- ger de ſa preſence, car peult eſtre que ne la voyant plus , ce mien feu qui prend viande & aliment de ſes beaux yeux ſ’a- mortira peu à peu: mais penſant execu- ter ſes penſers, en vn inſtant ils eſtoient reduicts au contraire , de ſorte que ne ſçachant en quoy ſe reſouldre paſſoit les iours & les nuicts en plainctes & la- mentations merueilleuſes: car amour le ſollicitoit de ſi pres , & luy auoit ſi bien empraincte la beauté de la damoiſelle en l’interieur de ſon cueur, que n’y pou- uant plus reſiſter il ſuccomboit au faiz, & ſe fondoit peu à peu comme la neige au ſoleil , dequoy eſmerueillez ſes parẽts & alliez , plaignoient grandement ſon deſaſtre , mais ſur tous les autres vn ſien compaignon plus meur d’aage &de con ſeil que luy, commença à le reprendre aigrement: Car l’amitié qu’il luy portoit eſtoit ſi grande qu’il ſe reſſentoit de ſon martire, & participoit à ſa paſsion, qui fut cauſe que le voyant quelquefois agité de ſes reſueries amoureuſes, il luy dict Rhomeo, ie m’eſmerueille grande- ment comme tu conſumes ainſi le meil- leur de ton aage à la pourſuitte d’v- ne choſe de laquelle tu te vois meſ- priſé & banny,ſans qu’elle ait reſpect ny à ta prodigue deſpence, ny à ton hon- neur,ny a tes larmes,ny meſmes à ta mi- ſerable vie, qui eſmouue les plus conſtãs à pitié: Parquoy ie te prie par noſtre an- ciẽne amitié & par ton propre ſalut que tu apprennes à l’aduenir à eſtre tien, ſans aliener ta liberté à perſonne tãt in- grate, car à ce que ie puis coniecturer par les choſes qui ſont passées entre toy & elle,ou elle eſt amoureuſe de quelque autre , ou bien eſt en delibeation de n’aymer iamais aucun. Tu es ieune , ri- che des biens de fortune , & plus recom mandé en beauté que gentil homme de ceſte cité , tu es bien inſtruict aux let- tres , tu es fils vnique de ta maiſon,quel creue-cueur à ton pauure vieillard de pere, & à tes autres parens de te veoir ainſi precipité en ceſt abiſme de vices, & en l’aage ou tu deuſſes leur donner quelque eſperance de ta vertu . Com- mence doncques deſormais à recognoi ſtre l’erreur en laquelle as veſcu iuſques icy. Oſte ce voille amoureux qui te ban- de les yeux & qui t’empeſche de ſuyure le droict ſentier, par lequel tes anceſtres ont cheminé , ou bien ſi tu te ſens ſi ſub- iect à ton vouloit , range ton cueur en autre lieu , & eſliz quelque maiſtreſſe qui le merite, & ne ſeme deſormais tes peines en ſi-mauuaiſe terre, que tu n’en reçoiues aucun fruict . La ſaiſon s’ap- proche qu’il ſe fera aſſemblée de dames par la cité ou tu en pourras regarder quelqu’vne de ſi bon œil qu’elle te fera oublier tes paſsions precedẽtes. Ce ieu- ne enfant ententiuemẽt eſcoute toutes les raiſons perſuaſiues de ſon amy, com- mença quelque peu à modererer ceſt ar deur , & recongnoiſtre que toutes les exhortations qu’il luy auoit faictes ne tendoient qu’à bõne fin, & deſlors deli- bera les mettre en execution & de ſe re trouuer indifferemment par toutes les feſtins & aſsẽblées de la ville ſans auoir aucune des dames non plus affectée que l’autre. Et continua en ceſte façon de faire deux ou trois moys, penſant par ce moyen eſteindre les eſtincelles de ſes anciennes flammes. Aduint donc quel- ques iours apres enuirõ la feſte de Noel que lon commẽça à faire feſtins , ou les maſques ſelon la couſtume auoient lieu. Et par ce qu’Anthoine Cappellet eſtoit chef de ſa famille & des plus apparents ſeigneuts de la cité . Il feiſt vn feſtin,& pour le mieux ſolenniſer , il cõuia toute la nobleſſe tant des hommes que des femmes, en laquelle on peut veoir auſsi la plus grand part de la ieunesse de Ve- ronne. La famille des Capellets ( com- me nous auons monſtré au commence- ment de ceſte hiſtoire) eſtoit en diſside auec celle des Monteſches, qui fut la cauſe pour la quelle les Monteſches ne ſe trouuerent à ce conuy , hors mis ce ieune adoleſcent Rhomeo Monteſche, lequel vint en maſque apres le ſouper, auec quelques autres ieunes gẽtils-hom mes . Et apres qu’ils eurent demeuré quelque eſpace de temps la face couuer- te de leurs maſques, ils ſe deſmaſquerẽt. Et Rhomeo tout honteux ſe retira en vn coing de la ſalle, mais pour la clarté des torches qui eſtoient allumées il fut incontinent aduisé de tous, ſpecialemẽt des dames , car oultre la naifue beauté, de laquelle nature l’auoit doué , enco- res s’eſmerueilloient elles d’aduantage de ſon aſſeurance , & comme il auoit o- ſé entrer auec telle priuaulté en la mai- ſon de ceux qui auoient peu d’occaſion de luy vouloir bien : Toutesfois les Ca- pellets diſsimulans leur hayne , ou bien pour la reuerence de la compaignie, ou pour le reſpect de ſon aage, ne luy meffi- rẽt,ny d’effect ny de parolles.Au moyen dequoy auec toute liberté il pouuoit cõ tẽpler les dames à ſon aiſe, ce qu’il ſceut ſi bien faire,& de ſi bonne grace qu’il n’y auoit celle qui ne receuſt quelque plaiſir de ſa preſence. Et apres auoir aſsis vn iu gement particulier ſur l’excellence de chacune,ſelon que l’affection le condui- ſoit,il aduisa vne fille entre autres d’vne extreme beauté , laquelle encores qu’il ne l’euſt iamais veuë, elle luy pleut ſur toutes & luy donnoit en ſon cueur le premier lieu en toute perfectiõ de beau- té.Et la feſtoyant inceſſamment par pi- teux regards , l’amour qu’il portoit à ſa premiere damoiſelle demoura vaincu par ce nouueau feu, lequel print tel ac- croiſſement & vigueur qu’il ne ſe peuſt onques eſteindre que par la ſeule mort, comme vous pourrez entendre par l’vn des plus eſtrãges diſcours que l’homme mortel ſçauroit imaginer.Le ieune Rho meo doncques ſe ſentant agité de ceſte nouuelle tẽpeſte,ne ſçauoit quelle con- tenance tenir, ains eſtoit tant ſurpris & alteré de ſes dernieres flãmes qu’il meſ- cognoiſſoit preſques ſoy meſme, de ſor- te qu’il n’auoit la hardieſſe de ſ’enquerir qui elle eſtoit , & n’eſtoit intentif ſeule- mẽt qu’à repaiſtre ſes yeux de laveuë d’i- celle: par leſquels il humoit le doux ve- nin amoureux,duquel il fut en fin ſi biẽ empoiſonné, qu’il fina ſes iours par vne cruelle mort. Celle pour qui Rhomeo ſouffroit vne ſi eſtrange paſsion,s’appel- loit Iulliette, & eſtoit fille de Capellets maiſtre de la maiſon ou ſe faiſoit ceſte aſ ſemblée, laquelle ainſi que ſes yeux vn- doiẽt çà & là,apperceut de fortune Rho meo,lequel luy ſembla le plus beau gen- til homme qu’elle euſt oncques veu à ſon gré. Et amour adonc qui eſtoit en embuſche, lequel n’auoit point encores aſſailly le tendre cueur de ceſte ieune da moiſelle,la toucha ſi au vif que quelque reſiſtance qu’elle ſceuſt faire n’eut pou- uoir de ſe garantir de ſes forces, & deſ- lors commença à contemner toutes les põpes de la feſte,& ne ſentoit plaiſir en ſon cueur ſinon lors que par emblée elle auoit getté ou receu quelque traict d’œil de Rhomeo. Et apres auoir cõtẽté leurs cueurs paſsionnez par vne infinité d’a- moureux regards , leſquels ſe rencon- trants le pluſſouuent & ſe meſlants , en- ſemble leurs rayons ardens donnoient suffiſant teſmoignage de quelque com- mencement d’amitié.Amour ayant faict ceſte breche au cueur de ces amans,ain- ſi qu’ils cherchoiẽt tous deux les moyẽs de parler enſemble , fortune leur en ap- preſta vne prompte occaſion, car quel- que ſeigneur de la trouppe print Iulliet- te par la main pour la faire dancer au bal de la torche,duquel elle ſeſceu ſi biẽ acquiter , & de ſi bonne grace, qu’elle gaigna pour ce iour le pris d’honneur entre toutes les filles de Veronne. Rho- meo ayant preueu le lieu ou elle ſe de- uoit retiter, fiſt ſes approches , & ſceut ſi diſcrettement conduire ſes affaires qu’il eut le moyen à ſon retour d’eſtre aupres d’elle.Iulliette le bal finy retour- na au meſme lieu duquel elle eſtoit par- tie au parauant, & demeura aſsiſe entre Rhomeo, & vn autre appellé Marcucio, courtiſan fort aymé de tous,lequel à cau ſe de ſes facecies & gentilleſſes eſtoit bien receu en toutes compaignies. Mar- cucio hardy entre les vierges , comme vn lyon entre les aigneaux ſaiſit incon- tinant la main de Iulliette , lequel auoit vne couſtume tant l’hyuer que l’eſté d’a- uoir touſiours les mains froides comme vn glaçon de montaigne,meſme eſtant aupres du feu. Rhomeo lequel eſtoit au coſté ſeneſtre de Iulliette , voyant que Marcucio la tenoit par la main dextre à fin de ne faillir à ſon deuoir, print l’au- tre main de Iulliette, & la luy ſerrant vn peu,ſe ſentit tellement preſſé de ceſte nouuelle faueur qu’il demeura court ſans pouuoir reſpondre , mais elle qui apperceut par ſa mutation de couleur que le deffault procedoit d’vne trop ve- hemente amour deſirãt de l’ouyr parler, ſe tourna vers luy, & la voix tremblante auec vne honte virginale entremeſlée d’vne pudicité , luy diſt : Benoiſte ſoit l’heure de voſtrevenuë à mon coſté,puis penſant acheuer le reſte,amour luy ſerra tellement la bouche qu’elle ne peut a- cheuer ſon propos. A quoy le ieune en- fant tout tranſporté d’aiſe & de conten- temẽt en ſouſpirant luy demãda quelle eſtoit la cauſe de ceſte fortunée benedi- ction.Iulliette vn peu plus aſſeurée auec vn regard de pitié luy diſt en ſouſriant: Mon gẽtil-hõme ne ſoyez point eſmer- ueillé ſi ie beniz voſtre venuë, d’autant que le ſeigneurMarcucio long tẽps auec ſa main gelée m’a toute glacé la mienne, &vous de voſtre grace la m’auez eſchauf fée.A quoy ſoudain repliqua Rhomeo, Madame,ſi le ciel m’a eſté tãt fauorable que ie vous aye faict quelque ſeruice a- greable,pour m’eſtre trouué caſuelemẽt en ce lieu, ie l’eſtime bien employé, ne ſouhaittant autre plus grãd bien pour le comble de tous les contentemens que ie pretẽds en ce monde,que de vous ſer- uir,obeyr & honorer par tout ou ma vie ſe pourra eſtẽdre,cõme l’experiẽce vous en fera pl9 entiere preuue,lors qu’il vous plaira en faire eſſay: mais au reſte ſi vous auez receu q̃lque chaleur par l’atouche- mẽt de ma main,bien vous puis-ie aſſeu ter que les flãmes ſont mortes au regard des viues eſtincelles & du violẽt feu qui ſort de voz beaux yeux,leq̃l a ſi bien en- flãmé toutes les plus ſenſibles parties de moy, q̃ ſi ie ne ſuis ſecouru par la faueur de voz diuines graces,ie n’attẽds q̃ l’heu re d’eſtre du tout conſõmé & mis en cen dre. A peine eut il acheué ſes dernieres paroles que le ieu de la torche print fin, dõt Iulliette qui toute bruſloitd’amour, luy ſerrãt la main eſtroictemẽt,n’eut loi- ſir de luy faire autre reſponſe que de luy dire tout bas:Mon cher ami,ie ne ſçay q̃l autre plus aſſeuré teſmoignage vousvou lez de mon amitié,ſinõ que ie vous puis acertener que vous n’eſtes point plus à vous meſme que ie ſuis voſtre,eſtãt pre- ſte & diſpoſée de vous obeyr en tout ce que l’honneur pourra ſouffrir, vous ſup- pliãt de vous cõtenter de ce,pour le pre- ſent,attẽdant quelque autre ſaiſon plus opportune ou nous pourrons cõmuni- quer plus priuémẽt de noz affaires. Rho meo ſe ſentãt preſſé de partir auec la cõ- paignie,ſans ſçauoir par quel moyen il pourroit reuoir quelque autre fois celle qui le faiſoit viure & mourir,ſ’aduisa de demander à quelque ſien ami qui elle e- ſtoit,lequel luy fiſt reſpõſe qu’elle eſtoit fille de Capellet maiſtre de la maiſon ou auoit faict ce iour le feſtin , lequel indi- gné outre meſure dequoy la fortune l’a- uoit adreſſé en lieu ſi perilleux, iugeoit en ſoy meſme qu’il eſtoit preſque im- poſsible de mettre fin à ſon entreprin- ſe. Iulliette conuoiteuſe d’autre coſté de ſçauoir qui eſtoit le iouuenceau qui l’auoit tant humainemẽt careſſée le ſoir, & duquel elle ſentoit la nouuelle playe en ſon cueur , appella vne vieille dame d’honneur,qui l’auoit nourrie & eſleuée de ſon laict, à laquelle elle diſt, eſtant ap puyée: Mere qui ſont ces deux iouuen- ceaux qui ſortẽt les premiers auec deux torches deuant?à laquelle la vieille re- ſpondit,ſelon le nom des maiſons dont ils eſtoient yſſuz : Puis elle l’interrogea de rechef, qui eſt ce ieune qui tient vn maſque en ſa main,& eſt veſtu d’vn man teau de damaz? C’eſt, diſt elle, Rhomeo Mõteſche,fils du capital ennemy de vo- ſtre pere & de ſes alliez : mais la pucelle au ſeul nõ de Monteſche demeura toute confuſe,deſeſperant du tout de pouuoir auoir pour eſpoux ſon tant affectionné Rhomeo , pour les anciennes inimitiez d’entre les deux familles : neantmoins elle ſceut (pour l’heure) ſi bien diſsimu- ler ſon ennuy & meſcontentement,que la vieille ne le peut comprẽdre: ains luy perſuada de ſe retirer en ſa chambre pour ſe coucher, à quoy elle obeyt,mais eſtant au lict, & cuidant prendre ſon a- couſtumé repos,vn grand tourbillon de diuers penſemens, commencerẽt à l’en- uironner & traicter de telle ſorte,qu’elle ne ſceut oncques clorre les yeulx, mais ſe tournant çà & lá, fantaſtiquoit diuer ſes choſes en ſon eſprit , faiſant ores e- ſtat de retrancher du tout ceſte practi- que amoureuſe , ores de la continuer. Ainſi eſtoit la pucelle agitée de deux cõ- traires,deſquels l’vn luy donnoit adreſſe de pourſuyure ſa deliberation,l’autre luy propoſoit le peril eminent auquel indi- ſcretement elle ſe precipitoit : & apres auoir longuement vagué en ce labyrin- the amoureux,ne ſçauoit en fin en quoy ſe reſouldre, mais elle pleuroit inceſſam ment,& ſ’accuſoit ſoymeſme,diſant:Ah! chetiue & miſerable creature, dont pro- cedent ces inacouſtumées trauerſes que ie ſens en mon ame, qui me font perdre le repos?Mais infortunée que ie ſuis, que ſçay ie ſi ce iouenceau m’aime comme il dict? peult eſtre que ſous le voile de ſes parolles amiellées il me veult rauir l’hõ- neur pour ſe venger de mes parens, qui ont offenſé les ſiens:& par ce moyen me rendre auec mon eternelle infamie la fa ble du peuple de Veronne. Puis ſoudain apres elle condãnoit ce qu’elle ſoupçon- noit au commencement,diſant: ſeroit il bien poſsible que ſoubs vne telle beau- té & acomplie doulceur , deſloyauté & trahiſon euſſent mis leur ſiege ? S’il eſt ainſi que la face eſt la loyalle meſſagiere des conceptions de l’eſprit , ie me puis aſſeurer qu’il m’aime: Car i’ay experimẽ- té tant de mutations de couleur en luy, lors qu’il parloit à moy, & l’ay veu tant tranſporté & hors de ſoy, que ie ne doy ſouhaitter autre plus certain augure de ſon amitié,en laquelle ie veulx perſiſter, immuable iuſques au dernier ſouſpir de ma vie, moyennant qu’il m’eſpouſe : car (peult-eſtre ) que ceſte nouuelle allian- ce engendrera vne perpetuelle paix & amitié entre ſa famille & la mienne. Ar- reſté dõcques en ceſte dəliberation tou- tes les fois qu’elle aduiſoit Rhomeo,paſ- ſer deuant ſa porte , elle ſe preſentoit a- uec vn viſage ioyeux, & le conduyſoit du clin de l’œil, tant qu’elle l’euſt perdu de veuë. Et apres auoir continué en ce- ſte façon de faire , par pluſieurs iours, Rhomeo ne ſe pouuant contenter du regard , contemploit tous les iours l’aſ- ſiette de la maiſon , & vn iour entre au- tres il aduisa Iuliette à la feneſtre de ſa chambre, qui reſpondoit à vne rue fort eſtroicte,vis à vis de laquelle y auoit vn iardin, qui fut cauſe que Rhomeo( crai- gnant que leurs amours feuſſent mani- feſtées ) commença deſlors à ne paſſer plus le iour deuant ſa porte, mais ſi toſt que la nuict auec ſon brun manteau a- uoit couuert la terre , il ſe pourmenoit luy ſeul auec ſes armes en ceſte petite ruelle: & apres y auoir eſté pluſieurs fois à faulte, Iuliette impatiente en ſon mal, ſe miſt vn ſoir à ſa feneſtre, & apperceut aiſémẽt par la ſplendeur de la Lune ſon Rhomeo,ioignãt ſa feneſtre non moins attendu qu’attendant , lors elle luy diſt tout bas la larme à l’œil , auec vne voix interrompue de ſouſpirs: Seigneur Rho meo , vous me ſemblez par trop prodi- gue de voſtre vie, l’expoſant à telle heu- re à la mercy de ceux qui ont ſi peu d’oc- caſion de vous vouloir biẽ:leſquels oul- tre ſ’ils vous y auoient ſurpris vous met- troient en pieces,mon honneur que i’ay plus cher que ma vie , en ſeroit à iamais intereſſé. Ma dame,reſpondit Rhomeo, ma vie eſt en la main de Dieu, de la- quelle luy ſeul peult diſposer : ſi eſt-ce que ſi quelqu’vn vouloit faire effort de la m’oſter ie luy ferois congnoiſtre en voſtre preſence comme ie la ſçay deffen dre, ne m’eſtant point toutesfois ſi che- re, ny en telle recommendation, que ie ne la vouluſſe ſacrifier pour vous à vn beſoing: & quand bien mon deſaſtre ſe- roit ſi grãd que i’en fuſſe priué en ce lieu ie n’aurois point d’occaſion d’y auoir re- gret, ſinon que la perdant ie perdrois le moyen de vous faire congnoiſtre le bien que ie vous veux, & la ſeruitude que i’ay à vous, ne deſirant la cõſseruer pour aiſe que i’y ſente , ny pour autre regard fors que pour vous aimer , ſeruir & honorer, iuſques au dernier ſouſpir d’icelle , ſou- dain qu’eut donné fin à ſon propos,lors amour & pitié commencerent à ſ’empa- rer du cueur de Iuliette, & tenant ſa teſ- te appuyée ſur vne main , ayant ſa face toute baignée de larmes,repliqua à Rho meo. Seigneur Rhomeo,ie vous prie ne me ramenteuoir plus ces choſes : car la ſeule apprehẽſion que i’ay d’vn tel incõ- uienent me faict balancer entre la mort & la vie , eſtant mon cueur ſi vny au voſtre, que vous ne ſçauriez receuoir le moindre ennuy de ce monde auquel ie ne participe comme vous meſmes: vous priant au reſte, que ſi vous deſirez voſtre ſalut & le mien, que vous m’ex- poſez en peu de parolles quelle eſt vo- ſtre deliberation pour l’aduenir : car ſi vous pretendez autre priuauté de moy que l’honneur ne le commande, vous viuez en treſgrand erreur : mais ſi vo- ſtre volonté eſt ſaincte , & que l’amitié laquelle vous dictes me porter, ſoit fon dée ſur la vertu, & qu’elle ſe conſom- me par mariage, me receuant pour vo- ſtre femme, & legitime eſpouſe, vous aurez telle part en moy , que ſans auoir eſgard à l’obeyſſance & reuerence, que ie doy à mes parens , ny aux anciennes inimitiez de voſtre famille & de la mi- enne , ie vous feray maiſtre & ſeigneur perpetuel de moy, & de tout ce que ie poſſede , eſtant preſte & appareillée de vous ſuiure par tout ou vous me com- manderez , mais ſi voſtre intention eſt autre, & que vous penſez tecueillir le fruict de ma virginité, ſoubs le pretexte de quelque laſciue amitié, vous eſtes biẽ trõpé, vous priant vous en deporter , & me laiſſer deſormais viure en repos auec mes ſemblables. Rhomeo qui n’aſpiroit à autre choſe, ioignant les mains au ciel, auec vn aiſe & contentement incroya- ble, luy reſpondit : Ma dame , puis qu’il vous plaiſt me faire l’honneur de m’ac- cepter pour tel, ie l’accorde, & m’y con- ſents , du meilleur endroit de mõ cueur, lequel vous demourra pour gaige, & aſſeuré teſmoing de mon dire, iuſques à ce que Dieu m’ait fait la grace de le vous monſtrer par effect . Et à fin que ie donne commencement à mon en- treprinſe, ie m’en iray demain au con- ſeil à frere Laurens , lequel, oultre qu’il eſt mon pere ſpirituel,a de couſtume de me donner inſtruction en tous mes au- tres affaires priuez : & ne fauldray ( ſ’il vous plaiſt)à me retrouuer en ce lieu, à la meſme heure, à fin de vous faire en- tẽdre ce que i’auray moyenné auecques luy , ce quelle accorda volontiers , & ſe finerent leurs propos , ſans que Rho- meo receuſt, pour ce ſoir , autre faueur d’elle que de parolle. Ce frere Laurens, duquel il ſera faict plus ample mention cy apres , eſtoit vn ancien Docteur en Theologie , de l’ordre des freres Mi- neurs , lequel oultre l’heureuſe profeſ- ſion qu’il auoit faict aux ſainctes lettres, eſtoit merueilleuſement bien verſé en Philoſophie, & grand ſcrutateur des ſe- crets de nature, meſmes renommé d’a- uoir intelligence de la Magie, & des au- tres ſciences cachées & occultes , ce qui ne diminuoit en rien ſa reputation: car il n’en abuſoit point. Et auoit ce frere, par sa preud’hommie & bonté, ſi bien gaigné le cueur des citoyens de Veron- ne, qu’il les oyoit preſque tous en con- feſsion: & n’y auoit celuy depuis les pe- tits iuſques aux grans, qui ne le reueraſt & aimaſt: & meſmes le plus ſouuent par ſa grande prudence, eſtoit quelquefois appellé aux plus eſtroicts affaires des ſei- gneurs de la ville . Et entre autres il e- ſtoit grãdement fauoriſé du ſeigneur de l’Eſcale ſeigneur de Veronne, & de tou- te la famille des Monteſches , & des Ca- pellets, & de pluſieurs autres . Le ieune Rhomeo( comme auons ia dict) des ſon ieune aage auoit touſiours eu ie ne ſçay quelle particuliere amytié auecques fre- re Laurens , & luy communiquoit ſes ſecrets. Au moyen dequoy partant d’a- uec Iuliette ſ’en va tout droict à ſainct François , ou il racompta par ordre tout le ſucces de ſes amours au beaupere, & la concluſion du mariage prinſe entre luy & Iuliette , adiouſtant pour la fin, qu’il eſliroit pluſtoſt vne hõteuſe mort, que de luy faillir de promeſſe , auquel le bon homme apres luy auoir faict plu- ſieurs remonſtrances , & propoſé tous les inconueniens de ce mariage clan- deſtin , l’exhorta d’y penſer plus à loy- ſir , toutesfois il ne luy fut poſsible de le reduire , parpuoy vaincu de ſa perti- nacité , & auſsi proiectant en luy meſ- mes que ce mariage ſeroit (peult eſtre) moyen de reconcilier ces deux lignées, luy accorda en fin ſa requeſte , auec la charge qu’il auroit vn iour de delay , pour excogiter le moyen de pourueoir à leur faict : mais ſi Rhomeo eſtoit ſoi- gneux de ſon coſté de donner ordre à ſes affaires , Iuliette ſemblablement fai- ſoit bien ſon deuoir du ſien : car voyant qu’elle n’auoit perſonne autour d’elle,à qui elle peuſt faire ouuerture de ſes paſ- ſions , ſ’aduiſa de communiquer le tout a ſa nourrice qui couchoit en ſa chãbre, & luy ſeruoit de femme d’honneur, à laquelle elle commiſt entierement tout le ſecret des amours de Rhomeo& d’el- le. Et quelque reſiſtance que la vieille fiſt au commencement de ſ’y accorder elle la ſceut en fin ſi bien perſuader & la gaigner, qu’elle luy promiſt de luy o- beyr en ce qu’elle pourroit , & deſlors la deſpecha pour aller en diligence parler à Rhomeo , & ſçauoir de luy par quel moyen ilz pourroient eſpouſer & qu’il luy feiſt entendre ce qu’il auoit eſté de- terminé entre frere L’aurens & luy. A laquelle Rhomeo fiſt reſponſe comme le premier iour qu’il auoit informé fre- re Laurens de ſon affaire, il auoit differé iuſques au iour ſubſequent qui eſtoit ce meſme iour , & qu’apeine y auoit il vne heure qu’il en eſtoit retourné pour la ſe- conde foys. Et que frere Laurens & luy auoyent aduiſé que le ſamedy ſuyuant elle demãderoit congé à ſa mere d’aller à confeſſe, & ſe trouueroit en l’egliſe de ſainct François en certaine chappelle,en laquelle ſecrettement les eſpouſeroit, & qu’elle ne failliſt à ſe trouuer, ce qu’el- le ſceut ſi bien conduire , & auec telle diſcretion,que ſa mere luy accorda ſa re- queſte,& accompagnée ſeulement de la bonne vieille, & d’vne ieune damoiſel- le, ſe trouua au iour determiné: & ſi toſt qu’elle fut entrée en l’egliſe, elle feiſt ap- peller le bon docteur frere Laurens,à la- quelle on feiſt reſponſe , qu’il eſtoit au confeſsionnaire , & qu’on l’alloit aduer- tir de ſa venuë , ſi toſt que frere Lau- rens fut aduerty de la venuë de Iuliet- te , il entra au grand corps de l’egliſe, & diſt à la bonne vieille & à la ieune da- moiſelle , qu’elles allaſſent ouyr meſ- ſe, & qu’il les feroit appeler mais que il euſt faict auecques Iuliette: laquelle en- trée en la cellule auecques frere Lau- rens , ferma la porte ſur eulx , comme il auoit de couſtume, meſme qu’il y a- uoit pres d’vne heure que Rhomeo & luy eſtoient enſemble enfermez . Auſ- quels frere Laurens, apres les auoir ouyz en confeſsion , diſt à Iuliette, Ma fille, ſelon que Rhomeo ( que voicy preſent) m’a recité, vous eſtes accordée auecques luy , de le prendre pour mary , & luy ſemblablement vous pour ſon eſpou- ſe , perſiſtez vous encores maintenant en ces propos ? Les amans reſpondirent qu’ils ne ſouhaittoient autre choſe . Et voyant leurs volontez conformes,apres auoir raiſonné quelque peu à la recom- mendation de la dignité de mariage, il prononça les parolles deſquelles on vſe, ſelon l’ordonnance de l’egliſe,aux eſpou ſailles. Et elle ayãt receu l’ãneau de Rho- meo, ſe leuerent de deuant luy , lequel leur diſt: Si auez quelque autre choſe à conferer enſemble de voz menuz affai- res , diligentez vous , car ie veulx faire ſortir Rhomeo d’icy, au deſceu des au- tres. Rhomeo preſſé de ſe retirer , diſt ſecrettement à Iuliette, qu’elle luy en- uoyaſt apres le diſner la vieille,& qu’il fe roit faire vne eſchelle de cordes, par la- quelle( ce ſoir meſme ) il mõteroit en ſa chãbre par la feneſtre, ou plus à loyſir ils aduiſeroient à leurs affaires. Les choſes arreſtées entre eux chacun ſe retira en ſa maiſon auec vn contentement incroya- ble, attẽdans l’heure heureuſe de la con- ſommation de leur mariage . Rhomeo arriué à ſa maiſon declara entierement tout ce qui eſtoit paſſé entre luy & Iul- lierte à vn ſien ſeruiteur nommé Pierre auquel il ſe fuſt fié de ſa vie, tant il auoit experimenté ſa fidelité , & luy comman da de recouurer promptement vne eſ- chelle da cordes auec deux forts cro- chets de fer ,attachez aux deux bouts,ce qu’il feit aiſéement, par ce qu’elles ſont fort frequentes en Italie. Iulliette n’ou- blia au ſoir ſur les cinq heures,d’enuoyer la vieille versRhomeo,lequel ayãt pour- ueu de ce qui eſtoit neceſſaire , luy feiſt bailler ladicte eſchelle , & la pria d’aſ- ſeurer Iulliette, que ce ſoir meſme il ne faudroit au premier ſomme de ſe trou- uer au lieu accouſtumé, mais ſi ceſte iour née ſembla longue à ſes paſsionnez a- mans,il en faut croire ceux qui ont faict autres fois eſſay de ſemblables choſes, car chacune minute d’heure leur du- roit mille ans, de ſorte que s’ils euſſent peu commander au ciel, comme Ioſué fiſt au ſoleil, la terre euſt eſté bien toſt couuerte de tres-obſcures tenebres. L’heure de l’aſsignationvenue Rhomeo ſ’accouſtra des plus ſumptueux habits qu’il euſt, & guidé par la bonne fortune ſe ſentãt approcher du lieu ou ſon cueur prenoit vie,ſe trouua tant deliberé qu’il franchit agilemẽt la muraille du iardin. Eſtant arriué ioignant la feneſtre apper- ceut Iulliette,qui auoit ia tendu ſon laſ- ſon de corde pour le tirer en hault,& a- uoient ſi bien agraffé ladicte eſchelle, que ſans aucun peril il entra en la cham- bre,laquelle eſtoit auſsi claire que le iour à cauſe de trois mortiers de cire vierge que Iulliette auoit faict allumer pour mieux contempler ſon Rhomeo.Iulliet- te de ſa part pour toute pareure ſeule- ment de ſon couurechef s’eſtoit coiffée de nuict, laq̃lle incõtinẽt qu’elle l’apper- ceut ſe brãcha à ſon col, & apres l’auoir baiſé & rebaiſé vn million de fois,ſe cui- da paſmer entre ſes bras ſans qu’elle euſt pouuoir de luy dire vn ſeul mot,ains ne faiſoit que ſouſpirer, tenant ſa bouche ſerrée contre celle de Rhomeo , laquel- le ainſi tranſie, le regardoit d’vn œil pi- teux, qui le faiſoit viure & mourir en- ſemble.Et apres eſtre reuenuë quelque peu à ſoy, elle luy diſt,tirant vn profond ſouſpir de ſon cueur . Ah Rhomeo ex- emplaire de toute vertu & gentilleſſe, vous ſoyez le tresbienvenu maintenant en ce lieu , auquel pour voſtre abſence &pour la crainte de voſtre perſonne,i’ay tant getté de larmes que la ſource en eſt preſque eſpuiſée , mais maintenant que ie vous tiens entre mes bras facent deſ- ormais la mort & la fortune comme ils entendront : car ie me tiens plus que ſa- tisfaicte de tous mes ennuyz paſſez, par la ſeule faueur de voſtre preſence. A la- quelle Rhomeo la larme à l’œil,pour ne demeurer muet reſpondit:Madame,cõ- bien que ie n’aye iamais receu tant de fa ueur de fortune que vous pouuoir faire ſentir par viue experience la puiſſance qu’auez ſur moy,& le tourment, que ie receuois à tous les momẽs du iour à vo- ſtre occaſion, ſi vous puis-ie bien aſſeu- rer que le moindre ennuy, ou ie me ſuis veu pour voſtre abſence, m’a eſté mille fois plus penible, que la mort, laquelle longtemps a euſt tranché le filet de ma vie , ſans l’eſperance que i’ay touſiours euë en ceſte heureuſe iournée , laquelle me payant maintenant le iuſte tribut de mes larmes paſſées, me rend plus con- tent,que ſi ie commandois à l’vniuers, vous ſuppliãt( ſans nous amuſer à reme- morer noz anciennes miſeres )que nous aduiſons pour l’aduenir de contenter noz cueurs paſsionnez, & à conduire noz affaires auec telle prudence & diſ- cretion que noz ennemis n’ayans aucun aduantage ſur nous, nous laiſſent conti- nuer noz iours en repos & tranquilité: & ainſi que Iulliette vouloit reſpondre, la vieille ſuruint qui leur diſt:Qui a tẽps à propos & le pert,trop tard le recouure, mais puis qu’ainſi eſt que vous auez tant faict endurer de mal l’vn à l’autre , voy- la,diſt elle, vn camp que ie vous ay dreſ- ſé , leur monſtrant le lict de camp qu’el- le auoit appareillé : prenez voz armes, & en iouez deſormais la vengeance. A quoy ils ſ’accorderent ayſément, & lors eſtans entre les draps en leur priué,apres ſe eſtre cheriz & feſtoyez de toutes les plus delicates careſſes dont amour les peult aduiſer , Rhomeo rompant les ſaincts liẽs de virginité print poſſeſsion de la place,laquelle n’auoit encores eſté aſsiegée auecques tel heur & contente- ment , que peuuent iuger ceulx qui ont experimenté ſemblables delices . Leur mariage ainſi conſommé , Rhomeo ſe ſentant preſſé par l’importunité du iour, print cõgé d’elle,auecques proteſtation qu’il ne fauldroit de deux iours, l’vn à ce retrouuer en ce lieu , & auec le meſme moyen & à heure ſemblable , iuſques à ce que la fortune leur euſt appreſté ſeu- re occaſion de manifeſter ſans crainte leur mariage à tout le monde. Et conti nuerent ainſi quelque moys ou deux leurs aiſes , auec vn contentement in- croyable , iuſques à tant que la fortune enuieuſe de leur proſperité tourna ſa rouë pour les faire trebucher en vn tel abiſme,qu’ils luy payerẽt l’vſure de leurs plaiſirs paſſez, par vne treſcruelle & treſ- pitoyable mort,comme vous entendrez cy apres,par le diſcours qui ſ’enſuit. Or comme nous auons deduict cy deuant, les Capellets & les Monteſches n’auoiẽt peu eſtre ſi bien reconciliez par le ſei- gneur de Verõne,qu’il ne leur reſtaſt en- cores quelques eſtincelles de leurs an- ciennes inimitiez , & n’attendoient d’v- ne part & d’autre que quelque legiere occaſion pour ſ’attaquer, ce qu’ils feirẽt. Les feſtes de paſques( cõme les hommes ſanguinaires ſont volõtiers couſtumiers apres les bonnes feſtes commettre les meſchantes œuures) ou pres la porte de Bourſari deuers le chaſteau vieux de Ve- ronne, vne trouppe des Capellets ren- contrerent quelques vns des Monteſ- ches, & ſans autres parolles commence- rent à chamailler ſur eux, & auoient les Capellets pour chef de leur glorieuſe en treprinſe vn nommé Thibault, couſin germain de Iulliette, ieune homme,diſ- pos,& bien adroict aux armes,lequel ex- hortoit ſes compaignons de rabbattre ſi bien l’audace des Mõteſches ce voyage, qu’il n’en fuſt iamais mémoire, & s’aug- menta la rumeur de telle ſorte par tous les cantons de Veronne , qu’il y ſurue- noit du ſecours de toutes parts: dequoy Rhomeo aduerty qui ſe promenoit par la ville auec quelques ſiens cõpaignons, ſe retrouua promptemẽt en la place ou ſe faiſoit ce carnage de ſe parens & aliez, & apres auoir aduisé qu’il y en auoit plu- ſieurs bleſſez des deux coſtez , dict à ſes compaignons . Mes amis ſeparons les, car ils ſont ſi acharnez les vns ſur les au- tres,qu’ils ſe mettrõt tousen pieces auãt que le ieu departe,& ce dit,il ſe precipita au milieu de la troupe , & ne faiſoit que parer aux coups,tant des ſiens que des autres,leur criant tout hault. Mes amis, c’eſt aſſez, il eſt tẽps deſormais que noz querelles ceſſent , car outre que Dieu y eſt grandement offenſé , nous ſommes en ſcandale à tout le monde & mettons ceſte republique en deſordre, mais ils e- ſtoient ſi animez les vns contre les au- tres qu’ils ne donnerent aucune audien- ce à Rhomeo , & n’entendoient qu’à ſe tuer, deſmembrer & deſchirer l’vn l’au- tre,&fut la meſlée tant cruelle & furieu- ſe entre eux, que ceux qui la regardoi- ent ſ’eſpouuentoient de les veoir tant ſouffrir, car la terre eſtoit toute couuerte de bras , de iambes,de cuiſſes & de ſang, ſans qu’ils donnaſſent teſmoignage au- cun de puſilanimité, & ſe maintindrent ainſi longuement ſans qu’on peuſt iuger qui auoit du meilleur . Lors que Thi- bault couſin de Iulliette enflammé d’ire & de courroux ſe tournant vers Rho- meo,luy rua vne eſtocade penſant le tra uerſer de part en part, mais il fut garan- ty du coup par le iaques qu’il portoit or- dinairement , pour la doute qu’il auoit des Capellets, auquel Rhomeo reſpon- dit: Thibault tu peux cognoiſtre par la patience que i’ay euë iuſques à lheure preſente , que ie ne ſuis point venu icy pour combatre ou toy & les tiens , mais pour moyenner la paix entre nous: & ſi tu penſois que par deffault de courage, i’euſſe failly à mon deuoir,tu ferois grãd tort à ma reputation, mais ie te prie de croire qu’il y a quelque autre particulier reſpect, qui m’a ſi bien commandé iuſ- ques icy, que ie me ſuis contenu comme tu vois : duquel ie te prie n’abuſer , ains ſois coutent de tant de ſang reſpandu, & de tant de meurtres commis le paſſé, ſans que tu me contraignes de paſſer les bornes de ma volonté. Ha traiſtre, diſt Thibault, tu te penſes ſauuer par le plat de ta lãgue,mais entends à te defendre, car ie te feray maintenant ſentir quel- le ne te pourra ſi bien garantir ou ſeruir de bouclier que ie ne t’oſte la vie, & ce diſant luy rua vn coup de telle furie que ſans que l’autre le para , il luy euſt oſté la teſte de deſſus les eſpaules, mais il ne fiſt que le preſter à celuy qui le luy ſceut incontinent rendre, car eſtant non ſeu- lemẽt indigné du coup qu’il auoit , mais de l’iniure que l’autre luy auoit faicte, commença à pourſuyure ſon ennemy d’vne telle viuacité , que au troiſieſme coup d’eſpée qu’il luy rua , il le renuerſa mort par terre d’vn coup de pointe que il luy auoit donné en la gorge , ſi qui’l la luy perſa de part en part. A raiſon de quoy la meſlée ceſſa,car outre que Thi- bault eſtoit chef de ſa compaignie, en- cores eſtoit il iſſu de l’vne des plus appa- rẽtes maiſons de la cité,qui fut cauſe que le Poteſtat fiſt cõgreger en diligẽce des ſoldats pour empriſonner Rhomeo,le- quel voyant ſon deſaſtre s’en va ſecret- tement vers frere Laurens à ſainct Fran çois , lequel ayant entendu ſon faict, le retint en quelque lieu ſecret du couuent iuſques à ce que la fortune en euſt au- trement ordonné . Le bruict diuulgué par la cité de l’accident ſuruenu au ſei- gneur Thibault , les Cappellets accou- ſtrez de dueil firent porter le corps mort deuant le ſeigneur de Veronne , tant pour l’eſmouuoir à pitié que pour luy demãder iuſtice,deuant lequel ſe retrou uerent auſsi les Monteſches, remonſtrãs l’innocence de Rhomeo & l’aggreſsion de l’autre . Le conſeil aſſemblé, & les teſmoings ouyz d’vne part & d’autre , il leur fut fait vn eſtroict commandement par ledict ſeigneur de poſer les armes. Et quant au delict deRhomeo pource qu’il auoit tué l’autre ſe deffendant , il ſeroit banny à perpetuité de Veronne . Et ce commun infortune publié par la cité. tout eſtoit plein de plainctes & mur- mures . Les vns lamentoient la mort du ſeigneur Thibault,tant pour la dexte rité qu’il auoit aux armes que pour l’eſ- perance qu’on auoit vn iour de luy , & des grands biens qui luy eſtoient prepa- rez s’il n’euſt eſté preuenu par tant cruel le mort, les autres ſe douloient, (& ſpe- ciallement les dames )de la ruine du ieu- ne Rhomeo, lequel outre vne beauté & bõne grace de laquelle il eſtoit enrichy, encores auoit il, ie ne ſçay quel charme naturel , par les vertuz duquel il attiroit ſi bien les cueurs d’vn chacun que tout le monde lamentoit ſon deſaſtre , mais ſur tous, infortunée Iulliette , laquelle aduertie tant de la mort de ſon couſin Thibault que du banniſſement de ſon mary,faiſoit retentir l’air par vne infini- té de cruelles plainctes & miſerables lamẽtations: puis ſe ſentant par trop ou- tragée de ſon extreme paſsion,entra en ſa chãbre , & vaincuë de douleur ſe ietta ſur ſon lict,ou elle commença à renfor- cer ſon dueil par vne ſi eſtrange façon, qu’elle euſt eſmeu les plus conſtans à pi- tié: puis comme tranſportée regardoit çà & lá, & aduiſant de fortune la fene- ſtre ( par laquelle ſouloit Rhomeo en- trer en ſa chambre ) s’eſcria . O malheu- reuſe feneſtre , par laquelle furent our- dies les ameres trames de mes premiers malheurs, ſi par ton moyen i’ay receu au tresfois quelque leger plaiſir, ou conten tement tranſitoire , tu m’en fais mainte- nant payer vn ſi rigoureux tribut, que mon tẽdre corps ne le pouuant plus ſup porter , ouurira deſormais la porte à la vie,à fin que l’eſprit deſchargé de ce mor tel fardeau cherche deſormais ailleurs plus aſſeuré repos. Ah Rhomeo,Rho- meo,quant au commencement i’euz ac- coinctance de vous, & que ie preſtois l’oreille à voz fardées promeſſes confir- mées par tant de iuremens,ie n’euſſe ia- mais creu qu’au lieu de continuer no- ſtre amitié & d’appaiſer les myens,vous euſsiez cherché l’occaſion de la rompre par vn acteſi laſche & vituperable , que voſtre renõmée en demeurera à iamais intereſſée, & moy miſerable que ie ſuis ſans conſort & eſpoux : Mais ſi vous e- ſtiez ſi affamé du ſang des Cappellets, pourquoy auez vous eſpargné le mien, lors que par tant de fois & en lieu ſe- cret m’auez veuë expoſée à la mercy de voz cruelles mains?La victoire que vous auiez euë ſur moy ne vous ſembloit elle aſſez glorieuſe, ſi pour la mieux ſolenni- ſer elle n’eſtoit couronnée de ſang , du plus cher de tous mes couſins? Or allez donc deſormais ailleurs deceuoir les au- tres malheureuſes comme moy , ſans vous trouuer en part ou ie ſois , ne ſans qu’aucune de voz excuſes puiſſe trouuer lieu en mon endroict. Et ce pendant ie lamenteray le reſte de ma triſte vie auec tant de larmes, que mõ corps eſpuiſé de toute humidité cherchera en brief ſon refrigere en terre. Et ayant mis fin à ſes propos, le cueur luy ſerra ſi fort qu’elle ne pouuoit ny plorer ny parler,& demeu ra du tout immobile comme ſi elle euſt eſté tranſie, puis eſtant quelque peu re- uenuë auec vne voix foible diſoit : Ah langue meurtriere de l’honneur d’au- truy,comme oſes tu offenſer celuy au- quel ſes propres ennemis dõnẽt louen- ge? comment reiectes tu le blaſme ſur Rhomeo, duquel chacun approuue l’in- nocence? ou ſera deſormais ſon refuge, puis que celle qui deuſt eſtre l’vnique propugnacle & aſſeuré rampart de ſes malheurs , le pourſuiſt & diffame ? Re- çoy,reçoy doncques Rhomeo la ſatisfa- ction de mon ingratitude par le ſacrifi- ce que ie te feray de ma propre vie : & par ainſi la faulte que i’ay commiſe con- tre ta loyauté ſera manifeſtée , toy ven- gé , & moy punie. Et cuidant parler d’a uantage tous les ſentiments du corps luy deffaillirent, de ſorte qu’il ſembloit qu’elle donnaſt les derniers ſignes de mort , mais la bonne vieille qui ne pou- uoit imaginer la cauſe de la lõgue abſen- ce de Iulliette ſe doubta ſoudain qu’elle ſouffroit,quelque paſsion , & la chercha tant par tous les endroicts du palais de ſon pere qu’à la fin elle la trouua en ſa chambre eſtendue & paſmée ſur ſon lict , ayant toutes les extremitez du corps froides, comme marbre , mais la vieille qui la penſoit morte , commen- ça à crier comme ſi elle euſt eſté force- née,diſant : Ah chere nourriture!. com- bien voſtre mort maintenant me grief- ue : Et ainſi qu’elle la manioit par tous les endroicts de ſon corps , elle cogneut qu’il y auoit encores quelque ſcyntille de vie , qui fut cauſe que l’ayant appel- lée pluſieurs fois par ſon nom elle la fiſt retourner d’extaſe . Puis elle luy diſt: Ma damoiſelle Iulliette,ie ne ſçay dont vous procede ceſte façon de faire, ny ceſte immoderée triſteſſe , mais bien vous puis-ie aſſeurer que i’ay penſé de- puis vne heure ença vous accompai- gner au ſepulchre : Helas ma grand amye ( reſpond la deſolée Iulliette ) ne congnoiſſez vous à veuë d’œil la iuſte occaſion que i’ay de me douloir & plain- dre, ayant perdu en vn inſtant les deux perſonnes du monde, qui m’eſtoient les plus cheres? Il me ſemble , reſpond ce- ſte bonne dame qu’il vous ſiet mal (at- tendu voſtre reputation) de tomber en telle extremité, car lors que la tribula- tion ſuruient , c’eſt l’heure ou mieux ſe doibt monſtrer la ſagesse . Et ſi le ſei- gneur Thibault eſt mort,le penſez vous reuocquer par voz larmes? Qu’en doit on accuſer que ſa trop grande preſum- ption & temerité ? euſsiez vous voulu que Rhomeo euſt faict ce tort à luy & aux ſiens de ſe laiſſer outrager par vn à qui il ne cedoit en rien? ſuffiſe vous que Rhomeo eſt vif,& ſes affaires ſont en tel eſtat qu’auecques le temps il pourra eſtre r’appellé de ſon exil? car il eſt grand ſeigneur comme vous ſça- uez , bien apparenté , & bien voulu de tous.Parquoy armez vous deſormais de patience , car combien que la fortune le vous eſlongne pour vn temps , ſi ſuis ie certaine qu’elle le vous rendra au par- apres auecques plus d’aiſe & de con- tentement que vous n’euſtes oncques. Et à fin que nous ſoyons plus aſſeurées en quel eſtat il eſt,ſi me voulez promet- tre de ne vous plus contriſter ainſi , ie ſçauray ce iourd’huy de frere Laurens ou il eſt retiré , ce que Iulliette luy ac- corda . Et ceſte bonne dame alors print le droict chemin à ſainct François ou elle trouua frere Laurens qui l’aduertit que ce ſoir Rhomeo ne faudroit à l’heu- re accouſtumée à viſiter Iulliette , en- ſemble luy faire entendre quelle eſtoit ſa deliberation pour l’aduenir . Ceſte iournée doncques ſe paſſa comme font celles des mariniers , leſquels apres a- uoir eſté agitéz de groſſes tempeſtes, voyant quelque rayon de ſoleil pene- trer le ciel pour illuminer la terre ſe raſ- ſeurent , & penſant auoir euité naufra- ge , ſoudain apres la mer vient à s’en- fler , & mutiner les vagues par telle im- petuoſité qu’ils retombent en plus grãd peril qu’ils n’auoient eſté au precedent. L’heure de l’aſsignatiõ venuë, Rhomeo ne faillit ſuyuant la promeſſe qu’il a- uoit faicte de ſe rendre au iardin ou il trouua ſon equipage preſt pour monter en la chambre de Iulliette , laquelle ayant les bras ouuerts commẽça à l’em- braſſer ſi eſtroictement qu’il ſembloit que l’ame deuſt habãdonner ſon corps. Et furent plus d’vn gros quart d’heure en telle agonie tous deux ſans pouuoir prononcer vn ſeul mot . Et ayans leurs faces ſerrées l’vne cõtre l’autre,humoiẽt enſemble auecques leurs baiſers les groſ ſes larmes,qui tomboient de leurs yeux. Dequoy s’apperceuant Rhomeo pen- ſant la remettre quelque peu , luy diſt: Mamie ie n’ay pas maintenant deliberé de vous deduire la diuerſité des accidẽs eſtranges de l’inconſtante & fragile for tune,laquelle eſleue l’homme en vn mo ment au plus hault degré de ſa rouë , & toutesfois en moins d’vn cil d’œil elle le rabaiſſe & deprime ſi bien, qu’elle luy ap preſte plus de miſeres en vn iour que de faueur en cent ans, ce qui s’experi- mente maintenant en moy meſme, qui ay eſté nourri delicatemẽt auec les miẽs, maintenu en telle proſperité & grãdeur que vous auez peu cognoiſtre,eſperant pour le comble de ma felicité par moyẽ de noſtre mariage reconcilier voz parẽs auec les miens,pour conduire le reſte de ma vie à ſon periode determiné de dieu: Et neantmoins toutes mes entreprinſes ſont rẽuerſées & mes deſſeings tournez au cõtraire,de ſorte qu’il me faudra deſ- ormais errer vagabond par diuerſes pro uinces , & me ſequeſtrer des miens,ſans auoir lieu aſſeuré de ma retraicte . Ce que i’ay bien voulu mettre deuant voz yeux, àfin de vous exhorter à l’auenir de porter patiẽmẽt tant mon abſenſe, que ce qui vo9 eſt deſtiné de Dieu:mais Iul- liette toute confite en larmes , & mor- telles angoiſſes ne levoulut laiſſer paſſer outre,ains luy interrompant ſes propos, luy diſt:Comment Rhomeo aurez vous bien le cueur ſi dur & eſloigné de toute pitié de me vouloir laiſſer icy ſeule,aſsie- gée de tant de mortelles miſeres ? qu’il n’y a heure ny moment au iour , ou la mort ne ſe preſente mille fois à moy , & toutesfois mon malheur eſt si grãd que ie ne puis mourir : de ſorte qu’il ſemble proprement qu’elle me veult conſeruer la vie,à fin de ſe delecter en ma paſsion, &de triũpher de mon mal, & vous cõme miniſtre & tyran de ſa cruauté ne faites conſcience( à ce que ie voy ) apres auoir recueilli le meilleur de moy, de m’aban- donner. Enquoy i’experimente que tou tes les loix d’amitié ſont amorties & e- ſteintes, puis que celuy duquel i’ay plus eſperé que de tous les autres , & pour le quel ie me ſuis faicte ennemie de moy- meſme, me deſdaigne & cõtẽne:nõ, non Rhomeo, il vous fault reſoudre en l’vne des deux choſes , ou de me voir incon- tinant precipitée du hault de la feneſtre en bas apres vous, ou que vous ſouffrez que ie vous accõpaigne la part ou la for- tune vous guidera:car mon cueur eſt tãt trãformé au voſtre,que lors que i’appre- hende voſtre departemẽt,ie ſens ma vie incontinent s’eſloigner de moy, laquel- le ie ne deſire continuer pour autre cho- ſe, que pour me veoir iouyr de voſtre preſence,& participer à toutes voz infor tunes comme vous meſme . Et par ainſi ſi oncques pitié logea en cueur de gen- til-homme, ie vous ſupplie Rhomeo en toute humilité, qu’elle trouue ores pla- ce en voſtre endroict, que me receuez pour voſtre ſeruante & fidelle compai- gne de voz ennuyz, & ſi voyez que ne puiſsiez me receuoir commodément en l’eſtat de femme, & qui me gardera de changer d’habits? ſeray ie la premiere qui en a vſé ainſi , pour eſchapper la ty- rannie des ſiens? Doutez vous que mon ſeruice ne vous ſoit auſsi agreable que celuy de Pierre voſtre ſeruiteur ? Ma loyauté ſera elle moindre que la ſienne? Ma beauté laquelle vous auez autres fois tant exaltée n’aura-elle aucun pouuoir ſur vous? mes larmes, mon amitié & les anciens plaiſirs que vous auiez receuz de moy ſeront ils mis en oubly ? Rhomeo la voyant entrer en ſes alteres , craignant qu’il luy aduint pis, la reprint de rechef entre ſes bras, & la baiſant amoureuſement , luy diſt: Iulliette , l’vnique maiſtreſſe de mon cueur , ie vous prie au nom de Dieu, & de la feruente amytié que me por- tez, que vous deſracinez du tout ces en- treprinſes de voſtre entendement, ſi ne cherchez l’entiere ruyne de voſtre vie & de la mienne : car ſi vous ſuiuez vo- ſtre conſeil , il ne peult aduenir autre choſe , que la perte des deux enſemble : car lors que voſtre abſence ſera mani- feſtée,voſtre pere fera vne ſi vifue pour- ſuitte apres vous,que nous ne pourrons faillir à eſtre deſcouuerts & ſurpris, & en fin cruellement puniz, moy,comme ra- pteur, & vous comme fille deſobeiſſant à pere : & ainſi cuidant viure contents, noz iours prendront leur fin , par vne mort honteuſe: mais ſi voulez vous for- tifier vn peu à obeyr à la raiſon,plus que aux delices que nous pourrions receuoir l’vn de l’autre , ie donneray tel ordre à mon banniſſement,que dedans trois ou quatre mois,pour tout delay,ie ſeray re- uoqué. Et ſ’il en eſt autremẽt ordonné, quoy qu’il en aduienne , ie retourneray vers vous, & auec la puiſſance de mes a- mis ie vous enleueray de Verõne à main forte,non point en habit diſsimulé, com me eſtrangere, mais comme mon eſpou ſe & perpetuelle compaigne. Et par ain- ſi moderez deſormais voz paſsions, & vi uez aſſeurée,que la mort ſeule me peult ſeparer de vous & non autre choſe. Les raiſons de Rhomeo gaignerent tant ſur Iuliette,qu’elle luy reſpondit. Mon cher amy,ie ne veulx que ce qu’il vous plaiſt: Si eſt-ce que quelque part que vous ti- riez , mon cueur vous demeurera pour gage, du pouuoir que vous m’auez don- né ſur vous. Ce pendant ie vous prie ne faillir me faire entendre ſouuent,par fre re Laurens, en quel eſtat ſeront voz af- faires, meſmes le lieu de voſtre reſiden- ce. Ainſi ces deux pauures amans paſ- ſerẽt la nuict enſemble, iuſques à ce que le iour qui commençoit à poindre, leur cauſa la ſeparation , auec extreme dueil & triſteſſe . Rhomeo ayant prins congé de Iuliette ſ’en va à ſainct François, & a- pres qu’il eut faict entendre ſon affaire à frere Laurẽs,patrit de Veronne acouſ- tré en marchant eſtranger, & fiſt ſi bon- ne diligence que ſans encombrier il ar- riua à Mantouë( accompaigné ſeulemẽt de Pierre ſon ſeruiteur, lequel il rẽuoya ſoudainement à Veronne, au ſeruice de ſon pere ) ou il loüa maiſon: & viuant en cõpaignie honorable,ſ’eſſaya pour quel- ques moys , à deceuoir l’ennuy qui le tourmentoit. Mais durant ſon abſence la miſerable Iuliette ne ſceut donner ſi bonnes trefues à ſon dueil , que par la mauuaise couleur de ſon viſage , on ne deſcouuriſt aiſémẽt l’interieur de ſa paſ- ſion . A raiſon dequoy ſa mere qui l’en- tẽdoit ſouſpirer à toute heure,& ſe plain dre inceſſamment , ne ſe peut contenir de luy dire : M’amye , ſi vous continuez plus gueres en ces façons de faire , vous auancerez la mort à voſtre bon homme de pere , & à moy ſemblablement , qui vous ay auſsi chere que la vie : parquoy moderez vous pour l’aduenir, & mettez peine de vous reſiouyr, ſans plus penſer à la mort de voſtre couſin Thibault , le- quel ſ’il a pleu à Dieu de l’appeller,le pẽ- ſez vous reuoquer par voz larmes & cõ- treuenir à ſa volonté?Mais la pauurette qui ne pouuoit diſsimuler ſon mal , luy diſt: Ma dame, il y a long temps que les dernieres larmes de Thibault ſont get- tées, & croy que la ſource en eſt ſi bien tarye , qu’il n’en renaiſtra plus d’autres. La mere qui ne ſçauoit ou tẽdoient tous ces propos,ſe teut, de peur d’ennuyer ſa fille. Et quelques iours apres, la voyant continuer en ſes triſteſſes & angoiſſcs accouſtumées , taſcha par tous moyens de ſçauoir, tant d’elle que de tous les do meſtiques de ſa maiſon, l’occaſiõ de ſon dueil, mais tout en vain, dequoy la pau- ure mere faſchée oultre meſure, ſ’aduiſa de faire entẽdre le tout au ſeigneur An- tonio ſon mary . Et vn iour qu’elle le trouua à propos,luy diſt : Monſeigneur, ſi vous auez conſideré la contenance de noſtre fille, & ſes geſtes, depuis la mort du ſeigneur Thibault ſon couſin, vous y trouuerez vne ſi eſtrange mutation, que vous en demeurerezeſmerueillé:Car el- le n’eſt pas ſeulement contente de per- dre le boire,le manger,& le dormir:mais elle ne ſ’exerce à autre choſe qu’à pleu- rer & lamenter , & n’a autre plus grand plaiſir & contentement, que de ſe tenir recluſe en ſa chambre,ou elle ſe paſsion- ne ſi fort, que ſi nous n’y donnons or- dre, ie doubte deſormais de ſa vie,& ne pouuant ſçauoir l’origine de ſon mal, le remede ſera plus difficile : Car encores que ie me ſoye employée à toute extre- mité, ie n’en ay ſceu rien comprendre, & combien que i’aye penſé au commen cement que cela luy procedaſt , pour le deces de ſon couſin, ie croy maintenant le contraire , ioinct qu’elle meſme m’a aſſeurée, que les dernieres larmes en e- ſtoient gettées , & ne ſçachant plus en quoy me reſouldre , i’ay penſé en moy- meſme qu’elle ſe contriſtoit ainſi , pour vn deſpit qu’elle a cõceu,de voir la pluſ- part de ſes compaignes mariées , & elle non,ſe perſuadant( peult eſtre)que nous la voulons laiſſer ainſi. Parquoy mon a- my,ie vous ſupplie affectueuſemẽt,pour noſtre repos & pour le ſien , que vous ſoyez pour l’aduenir,curieux de la pour- uoir en lieu digne de nous . A quoy le ſeigneur Antonio ſ’accorda volontiers, luy diſant : Mamye i’auois pluſieurs fois penſé à ce que me dictes : Toutesfois, voyant qu’elle n’auoit encores attainct l’aage de dix & huict ans, ie deliberois y pouruoir plus à loiſir. Neantmoins puis que les choſes ſont en tels termes , & que c’eſt vn dangereux treſor que de fil- les, i’y pouruoiray ſi promptement,que vous aurez occaſion de vous en con- tenter, & elle de recouurer ſon en bon poinct, qui ſe perd à veuë d’œil. Ce pen- dãt aduiſez ſi elle eſt point amoureuſe de quelqu’vn, à fin que nous n’ayons point tant d’eſgard aux biens, ou à la grandeur de la maiſon ou nous la pourrions pour- uoir , qu’à la vie & ſanté de noſtre fille: laquelle m’eſt ſi chere,que i’aimerois mi- eux mourir pauure, & desheritée, que de la donner à quelqu’vn qui la traictaſt mal. Quelques iours apres que le ſei- gneur Antonio eut euenté le mariage de ſa fille , il ſe trouua pluſieurs gentils- hõmes qui la demandoient , tant pour l’excellence de ſa beauté que pour ſa ri- cheſſe & extraction : mais ſur tous au- tres l’alliance d’vn ieune Comte nõmé Paris,Cõte de Lodrõne,ſembla plus ad- uãtageux au ſeigneur Antonio,auquel il l’accorda liberallement, apres toutefois l’auoir communiqué à ſa femme.La me- re fort ioyeuſe , d’auoir rencontré vn ſi honneſte party pour ſa fille,la fiſt appel- ler en priué,& luy fiſt entendre comme les choſes eſtoient paſſées,entre ſon pe- re & le Comte Paris,luy mettant la be- auté & bonne grace de ce ieune Com- te deuant les yeulx, les vertuz pour leſ- quelles il eſtoit recommandé d’vn cha- cun, adiouſtãt pour concluſion les gran des richeſſes & faueurs , qu’il auoit aux biens de fortune, par le moyen deſquel- les elle & les ſiens viuroient en eternel honneur : mais Iuliette qui euſt pluſtoſt conſenty d’eſtre deſmembrée toute vi- ue, que d’accorder ce mariage , luy diſt, auec vne audace non acouſtumée , Ma dame,ie m’eſtõne cõme auez eſté ſi libe- ralle de voſtre fille , de la commettre au vouloir dautruy, ſans premier ſçauoir q̃l eſtoit le ſiẽ: vous en ferez ainſi que l’en- tendrez , mais aſſeurez vous que ſi vous le faictes,ce ſera oultre mon gré.Et quãt au regard du Comte Paris , ie perdray premier la vie qu’il ait part à mon corps, de laquelle vous ſerez homicide, mayãt liurée entre les mains de celuy ,lequel ie ne puis, ny ne veulx, ny ne ſçaurois ay- mer.Parquoy ie vous prie me laiſſer deſ- ormais viure ainſi , ſans prendre aucun ſoing de moy , tant que ma cruelle for- tune, ait autremẽt diſpoſé de mon faict. La dolente mere qui ne ſçauoit quel iu- gement aſſeoir ſur la reſponſe de ſa fille, comme confuſe & hors de ſoy, va trou- uer le ſeigneur Antonio , auquel ſans luy rien deſguiſer,feiſt entendre le tout. Le bon vieillart indigné oultre meſure, cõmanda qu’on l’amenaſt incontinent par force deuant luy , ſi de ſon gré elle n’y vouloit venir . Et ſi toſt qu’elle fut arriuée, toute eſplorée, elle commença à ſe ietter à ſes pieds , leſquels elle bai- gnoit tous de larmes , pour la grande habondance, qui diſtilloiẽt de ſes yeulx. Et cuydant ouurir la bouche pour luy crier mercy , les ſanglots & ſouſpirs luy interrompoient ſi ſouuent la parolle, qu’elle demeura muette , ſans pouuoir former vn ſeul mot:mais le vieillard( qui n’eſtoit en riẽ eſmeu des larmes de ſa fil- le) luy diſt auec treſgrãde colere. Vien ça ingrate & deſobeyſſante fille , as tu deſ- ia mis oubly ce que tant de fois as ouy racompter à ma table , de la puiſſance que mes anciens peresRomains auoient ſur leurs enfans? auſquels il n’eſtoit pas ſeulement loiſible de les vendre, enga- ger & aliener ( en leur neceſsité) com- me il leur plaiſoit : mais qui plus eſt, ils auoient entiere puiſſance de mort & de vie ſur eux.De quels fers,de quels tour- ments, de quels liens te chaſtieroient ces bons peres , ſ’ils eſtoient reſuſcitez? & ſ’ils voyoient l’ingratitude , felonnie, & deſobeyſſance de laquelle tu vſes en- uers ton pere , lequel auecques maintes prieres & requeſtes t’a pourueuë de l’vn des plus grands ſeigneurs de ceſte pro- uince, des mieulx renommez en toutes eſpeces de vertuz , duquel toy & moy ſommes indignes , tant pour les grands biẽs( auſquels il eſt appellé)cõme pour la grandeur & generoſité de la maiſon de laquelle il eſt yſſu: & neantmoins tu fais la delicate , & rebelle : & veulx contre- uenir à mon vouloir . I’atteſte la puiſ- ſance de celuy qui m’a faict la grace de te produyre ſut terre, que ſi dedans mar- dy (pour tout le iour) tu faulx à te pre- parer , pour te trouuer à mon chaſteau de Villefranche , ou ſe doibt rendre le Comte Paris : & lá donner conſente- ment à ce que ta mere & moy auons ia accordé: que non ſeulement ie te priue- ray de ce que i’ay des biens de ce mon- de , mais ie te feray eſpouſer vne ſi eſ- troicte & auſtere priſon , que tu mau- diras mille fois le iour & l’heure de ta naiſſance : Et aduiſe deſormais à ce que tu as affaire , car ſans la promeſſe que i’ay faicte de toy au Comte Paris , ie te ferois des à preſent ſentir combien eſt grande la iuſte colere d’vn pere, indigné contre l’enfant ingrat. Et ſans attendre autre reſponſe le vieillard part de ſa chambre, & lá laiſſa ſa fille à genoulx, ſans vouloir attendre aucune reſponſe d’elle. Iuliette congnoiſſant la fureur de ſon pere, craignant d’encourir ſon in- dignation, ou de l’irriter d’auantage , ſe retira ( pour ce iour ) en ſa chambre, & exerça toute la nuict plus ſes yeulx à plorer qu’a dormir: & le matin ſ’en part feignant aller à la meſſe , auecques ſa dame de chambre , arriua aux Corde- liers, & apres auoir faict appeler frere Laurens, elle le pria de l’ouyr en confeſ- ſion , & ſi toſt qu’elle fut à genoulx de- uant luy , elle commença ſa confeſsion par larmes,luy remonſtrãt le grand mal- heur qui luy eſtoit preparé , pour le ma- riage accordé par ſon pere auec le Com- te Paris . Et pour la concluſion luy diſt: Monſieur , par ce que vous ſçauez , que ie ne puis eſtre mariée deux fois , & que ie n’ay qu’vn Dieu,qu’vn mary, & qu’vne foy : ie ſuis deliberée partant d’icy , auec ces deux mains , que vous voyez ioin- ctes deuaut vous , ce iourd’huy donner fin à ma douloureuſe vie: à fin que mon eſprit porte teſmoignage au ciel, & mon ſang à la terre,de ma foy & loyauté gar- dée. Puis ayant mis fin à ce propos, elle regardoit çà & lá,faiſant entendre par ſa farouche contenance , qu’elle baſtiſſoit quelque ſiniſtre entreprinſe: dequoy fre re Laurẽs eſtõné outre meſure, craignãt qu’elle n’executaſt ce qu’elle auoit deli- beré luy diſt: Ma damoiſelle Iulliette, ie vous prie au nõdeDieu,moderez quel- que peu voſtre ennuy,& vous tenez coye en ce lieu,iuſques à ce que i’aye pourueu à voſtre affaire: car auant que partiez de ceans ie vous donneray telle cõſolation, & remedieray ſi bien à voz afflictiõs,que vous demeurerez ſatisfaicte & cõtente. Et l’ayant laiſſée en ceſte bõne opinion, ſort de l’egliſe,& mõte ſubitement en ſa chãbre.ou il cõmẽça à proiecter diuerſes choſes en ſon eſprit,ſe ſentant ores ſolli- té en ſa cõſciẽce,de ſouffrir qu’elle eſpou ſaſt le Comte Paris:ſçachant que par ſon moyen elle en auoit eſpouſé vn autre. Ores faiſant ſon entreprinſe difficile, & encores plus perilleuſe l’execution,d’au- tã qu’il ſe cõmettoit à la miſericorde d’v- ne ieune ſimple damoiſelle peu acorte, & que ſi elle defailloit en quelque choſe, tout leur faict ſeroit diuulgué, luy diffa- mé,& Rhomeo ſon eſpoux puny. Neãt- moins apres auoir eſté agité d’vne infini- té de diuers pẽſemẽs, fut en fin vaincu de pitié, & aduiſa qu’il aimoit mieux hazar- der ſon hõneur,que de ſouffrir l’adultere de Paris auec Iuliette. Et eſtãt reſolu en ceci,ouurit ſon cabinet, & print vne fiol- le, & ſ’en retourne vers Iuliette, laquelle il trouua quaſi trãſie,attendãt nouuelles de ſa mort,ou de ſa vie,à laquelle le beau pere demãda. Iuliette,quand eſt-ce l’aſsi- gnation de voz nopcesʾ La premiere aſsi- gnatiõ, diſt elle, eſt à mercredi, qui eſt le iour ordõné pour receuoir mõ cõſente- mẽt du mariage,accordé par mõ pere au Cõte Paris, mais la ſolẽnité des nopces, ne ſe doit celebrer que le dixieſme iour de Septembre. Ma fille diſt le religieux, prẽs courage, le Seigneur m’a ouuert vn chemin,pour te deliurer,toy & Rhomeo de la captiuité qui t’eſt preparée. I’ay con gneu tõ mari des le berceau. Il m’a touſ- iours cõmis les plus interieurs ſecrets de ſa cõſciẽce,& ie l’ay auſsi cher que ſi ie l’a uoisengẽdré:parquoy mõ cueur ne pour roit ſouffrir qu’on luy fiſt tort, en choſe ou ie peuſſe pourueoir par mon conſeil. Et d’autàt que tu es ſa femme, ie te doy par ſemblable raiſon aymer, & me euer- tuer de te deliurer du martyre & angoiſ ſe, qui te tient aſsiegée . Entends donc- ques ma fille , au ſecret que ie te voys à preſent manifeſter, & te gardes ſur tout de le declarer à creature viuante , car en cela conſiſte ta vie & ta mort. Tu n’es point ignorãte,par le r’apport commun des citoyẽs de ceſte cité, & par la renom mée, qui eſt publiée par tout de moy, que ie n’aye voyagé quaſi par toutes les prouinces de la terre habitable: de ſorte que par l’eſpace de vingt ans continuz ie n’ay donné repos à mon corps,ains ie l’ay le plus ſouuent expoſé à la merci des beſtes brutes par les deſerts & quelque fois à celle des vndes , à la merci des pi- rates,& de mille autres perils & naufra- ges,qui ſe retrouuent tant en la mer que ſur la terre. Or eſt il ma fille que toutes mes peregrinations ne m’ont point eſté inutiles, car outre le contentement in- croyable que i’en reçoy ordinairement en mon eſprit , encores en ay ie recueil- ly vn autre fruict particulier lequel auec la grace de Dieu tu reſentiras en brief. C’eſt que i’ay eſprouué les proprietez ſe crettes des pierres , plantes , metaux & autres choſes cachées aux entrailles de la terre, deſquelles ie me ſçay aider( con tre la commune loy des hommes ) lors que la neceſsité me ſuruient ſpeciale- ment aux choſes eſquelles ie congnois mon Dieu en eſtre moins offencé. Car comme tu ſçais eſtant ſur le bord de ma foſſe( comme ie ſuis ) & que l’heure approche qu’il me fault rendre compte, ie doy deſormais auoir plus grande ap- prehenſion des iugemens de Dieu, que lors que les ardeurs de l’incõſiderée ieu- neſſe bouillonnoient en mon corps. Entends doncques ma fille , qu’auec les autres graces & faueurs que i’ay receuës du ciel, que i’ay apprins & experimenté longtemps a, la compoſition d’vne pa- ſte que ie faiz de certains ſimples ſopo- riferes, laquelle puis apres reduicte en pouldre & beuë auec vn peu d’eau , en vn quart d’heure elle endort tellemẽt ce luy qui la prẽd,& enſeueliſt ſi biẽ ſes ſens & autres eſprits de vie , qu’il n’y a mede- cin tant excellẽt qui ne iuge pour mort celuy qui en a prins . Et a encor d’auan- tage vn effect plus merueilleux, c’eſt que la perſonne qui en vſe ne ſent aucu- ne douleur , & ſelon la quantité de la doze qu’on a receuë, le patient demeu- re en ce doux ſommeil, puis quand ſon operatiõ eſt parfaicte il retourne en ſon premier eſtat. Or reçoy donc maintenãt l’inſtruction de ce que tu doibs faire & deſpouille ceſte affection feminine , & prends vn courage viril, car en la ſeule force de ton cueur cõſiſte l’heur ou mal- heur de ton affaire . Voyla vne fiole que ie te dõne, laquelle tu garderas comme ton propre cueur, & le ſoir dont le iour ſuyuant ſeront tes eſpouſailles,ou le ma tin auant iour,tu l’empliras d’eau,& boi- ras tout ce qui eſt contenu dedans, & lors tu ſentiras vn plaiſant ſommeil,le- quel gliſſant peu à peu par toutes les par ties de ton corps, les contraindra ſi bien qu’elles demeureront immobiles,& ſans faire leurs accouſtumées offices,perdrõt leurs naturels ſentimens , & demeure- ras en telle extaſe l’eſpace de quarante heures pour le moins, ſans aucun poulx ou mouuement perceptible, dequoy e- ſtonnez ceux qui te viendront voir , te iugeront morte,& ſelon la couſtume de noſtre cité , ils te feront apporter au ci- metiere, qui eſt pres noſtre egliſe , & te mettront au tombeau ou ont eſté enter rez tes anceſtres les Capellets.Et ce pen- dant i’aduertiray le ſeigneur Rhomeo par homme expres de tout noſtre affai- re,lequel eſt à Mantouë,qui ne faudra à ſe trouuer la nuictée ſuyuãte ou nous fe rons luy & moy ouuerturedu ſepulchre, & enlieuerõs ton corps, & puis l’opera- tiõ de la pouldre paracheuée,il te pourra emmener ſecrettement à Mantouë, au deſceu de tous tes parens & amis , puis peult eſtre quelquefois la paix de Rho- meo faicte, cecy pourra eſtre manifeſté, auec le contentement de tous les tiens. Les propos du beau pere finiz, nouuelle ioye commença à ſ’emparer du cueur de Iulliette, laquelle auoit eſté ſi entẽtiue à les eſcouter qu’elle n’en auoit mis vn ſeul point en oubly. Puis elle luy diſt:Pe- re n’ayez doute que le cueur me deffail- le en l’acompliſſement de ce que m’auez cõmandé,car quand bien ſeroit quelque forte poiſon,& venin mortel,pluſtoſt le mettrois-ie en mon corps , que de con- ſentir de tomber es mains de celuy qui ne peult auoir part en moy . A plus for- te raiſon doncques me dois-ie fortifier, & expoſer à tout mortel peril,pour m’ap procher de celuy duquel depẽd entiere- ment ma vie, & tout le contentement que ie pretends en ce monde.Or va dõc ma fille( diſt le beau pere )en la garde de Dieu,lequel ie prie te tenir la main & te confirmer ceſte volonté en l’accompliſ- ſement de ton œuure. Iulliette partie de auec frere Laurens, s’en retourna au pa- lais de ſon pere ſur les vnze heures ou elle trouua ſa mere à la porte,qui l’atten doit en bõne deuotion de luy demãder ſi elle vouloit encores continuer en ſes premieres erreurs:mais Iulliette auec v- ne contenance plus gaye que de couſtu- me , ſans auoir patience que ſa mere l’in terrogaſt luy diſt. Madame, ie viens de ſainct François ou i’ay ſeiourné peult e- ſtre plus que mon deuoir ne requeroit, neantmoins ce n’a eſté ſans fruict,&ſans apporter vn grand repos à ma conſcien- ce affligée , par le moyen de noſtre pere ſpirituel,frere Laurens auquel i’ay faict vne bien ample declaration de ma vie, & meſmes luy ay communiqué en con- feſsion , ce qui eſtoit paſſé entre mon- ſeigneur mõ pere & vous,ſur le mariage duCõte Paris & de moy:mais le bõ hom me m’a ſceu ſi biẽ gaigner par ſes ſainctes remõſtrãces & loüables hortatiõs,qu’en- core que ie n’euſſe aucune volõté d’eſtre iamais mariée, ſi eſt-ce que ie ſuis main- tenant diſposée de vous obeir en ce qu’il vous plaira me commander . Parquoy madame ie vous prie impetrez ma gra- ce enuers monſeigneur & pere , & luy dictes s’il vous plaiſt qu’obeïſſant á ſon commandement , ie ſuis preſte d’aller trouuer le Comte Paris à Villefranche, & lá en voz preſences l’acccpter pour ſei gneur & eſpoux , en aſſeurance dequoy ie m’en vois en mon cabinet eſlire tout ce qu’il y a de plus precieux , à fin que me voyant en ſi bon equipage ie luy ſois plus agreable . La bonne mere rauie de trop grand aiſe, ne peut reſpondre vn ſeul mot, ains s’en va en diligence trou- uer le ſeigneur Anthonio ſon mary,au- quel elle racompta par le menu , le bon vouloir de ſa fille,& cõme par le moyen de frere Laurens elle auoit du tout chan gé de volonté : dequoy le bon vieillard ioyeux outre meſure,loüoitDieu en ſon cueur, diſant : Mamie ce n’eſt pas le pre- mier bien que nous auons receu de ce ſainct homme,meſme qu’il n’y a citoyen en ceſte republique, qui ne luy ſoit rede uable,plueſt au ſeigneur dieu que i’euſſe achepté vingt de ſes ans la tierce partie de mõ biẽ,tant m’eſt griefue ſon extre- me vieilleſſe . Le ſeigneur Anthonio à la meſme heure va trouuer le Cõte Pa- ris auquel il penſa perſuader d’aller à Vil lefranche.Mais le Comte luy remonſtra que la deſpence ſeroit exceſsiue , & que c’eſtoitle meilleur de la reſeruer au iour des nopces pour les mieux ſolenniſer. Toutesfois qu’il eſtoit bien d’aduis, s’il luy ſembloit bon d’aller voir Iulliette,& ainſi s’en partirent enſemble pour l’aller trouuer.La mere auertie de ſa veuuë,fiſt preparer ſa fille, à laquelle elle comman da de n’eſpargner ſes bonnes graces à la venuë du Comte, leſquelles elle ſceut ſi bien deſployer qu’auant , qu’il partiſt de ſa maiſon , elle luy auoit ſi bien deſrobé ſon cueur, qu’il ne viuoit deſormais que en elle, & luy tardoit tãt que l’heure de- terminée n’eſtoit venuë, qu’il ne ceſſoit d’importuner , & le pere & la mere de mettre vne fin & conſommation à ce mariage. Et ainſi ſe paſſa ceſte iournée aſſez ioyeuſement , & pluſieurs autres, iuſques au iour precedent les nopces,au quel la mere de Iulliette auoit ſi bien pourueu qu’il ne reſtoit rien de ce qui appartenoit à la magnificence & gran- deur de leur maiſon . Villefranche du- quel nous auons faict mention eſtoit vn lieu de plaiſance ou le ſeigneur Antho- nio ſe ſouloit ſouuent recréer,qui eſtoit à vn mille ou deux de Veronne , ou le diſner ſe deuoit preparer, combien que les ſolennitez requiſes deuſſent eſtre faictes à Veronne . Iulliette ſentant ſon heure approcher diſsimuloit le mieulx qu’elle pouuoit: & quand ce vint l’heure de ſe retirer , ſa dame de chambre luy vouloit faire compaignie & coucher en ſa chambre, comme elle auoit accouſtu- mé . Mais Iulliette luy diſt. Ma grande amie, vous ſçauez que demain ſe doiuẽt celebrer mes nopces,& par ce q̃ ie veux paſſer la pluſpart de la nuict en oraiſon, ie vous prie pour ce iourd’huy me laiſſer ſeule , & venez demain ſur les ſix heu- res m’aider à m’acouſtrer,ce que la bon- ne vieille luy accorda aiſément, ne ſe doubtant point de ce qu’elle propoſoit de faire,s’eſtant retirée ſeule en ſa cham- bre, ayant vn boucal d’eau ſur la table, emplit la fiole que le beaupere luy auoit donnée , & apres auoir faict ceſte mix- tion , elle miſt le tout ſoubs le cheuet de ſon lict , puis elle ſe coucha : & eſtant au lict, nouueaux penſers commencerent à l’enuironner , auec vne apprehenſion de mort ſi grande, qu’elle ne ſçauoit en quoy ſe reſouldre, mais ſe plaignant in- ceſſamment, diſoit.Ne ſuis-ie pas la plus malheureuſe & deſeſperée creature qui naſquit onques entre les femmes? pour moy n’y a au monde que malheur,miſe re & mortelle triſteſſe,puis que mon in- fortune ma reduicte à telle extremité que pour ſauluer mon honneur & ma conſcience , il fault que deuore icy vn breuuage , duquel ie ne ſçay la vertu. Mais que ſçay-ie ( diſoit elle ) ſi l’opera- tion de ceſte pouldre ſe fera point pluſ- toſt ou pluſtard qu’il n’eſt de beſoing, & que ma faulte eſtant deſcouuerte, ie de- meure la fable du peuple . Que ſçay-ie d’aduantage ſi les ſerpens & autres be- ſtes venimeuſes, qui ſe retrouuent cou ſtumierement aux tombeaux& cachots de la terre m’offenſeront penſant que ie ſoye morte?Mais comment pourray ie endurer la puanteur de tant de cha- rongnes & oſſements de mes anceſtres qui repoſent en ce ſepulchre. Si de fortu ne ie m’eſueillois auant que Rhomeo & frere Laurens me vinſſent ſecourir? Et ainſi qu’elle ſe plongeoit profonde- ment en la contẽplation de ces choſes, ſon imagination fut ſi forte, qu’il luy ſembloit aduis qu’elle voyoit quelque ſpectre ou fantoſme de ſon couſin Thi- bault , en la meſme ſorte qu’elle l’auoit veu bleſſé, & ſanglant:& apprehendant qu’elle debuoit viue eſtre enſepuelie à ſon coſté auec tant de corps morts & d’oſſemens deſnuez de chair , que ſon tendre corps & delicat ſe print à friſſon- ner de peur, & ſes blonds cheueux à he- riſſer , tellement que preſſée de frayeur, vne ſueur froide commença à perſer ſon cuir & arrouſer tous ſes membres de ſorte qu’il luy ſembloit aduis qu’elle auoit deſiavne infinité de morts au tour d’elle ,qui la tirailloient de tous coſtez, & la mettoient en pieces:& ſentant que ſes forces ſe diminuoient peu à peu, & craignant que,par trop grande debilité, elle ne peuſt executer ſon entreprinſe, comme furieuſe & forcenée ſans y pen- ſer plus auant, elle engloutiſt l’eau con- tenuë en ſa fiolle, puis croiſant ſes bras ſur ſon eſtomach, perdit à l’inſtant tous les ſentimẽs du corps & demeura en ex- taſe. Et comme l’aube du iour commen çoit à mettre la teſte hors de ſon Oriẽt, ſa dame de chambre qui l’auoit enfer- mée auec la clef ouurit la porte,& la pen ſant eueiller l’appelloit ſouuent , & luy diſoit , ma damoiſelle,c’eſt trop dormy, le Comte Paris vous viendra leuer . La pauure femme chantoit aux ſourds,car quand tous les plus horibles & tempe- ſtueux ſons du monde euſſent reſonné à ſes oreilles, ſes eſprits de vie eſtoient tellement liez & aſſopiz, qu’elle ne ſ’en fuſt eſueillée . Dequoy la pauure vieille eſtonnée , commença à la manier, mais elle la trouua par tout froide comme marbre , puis luy mettant la main ſur ſa bouche, iugea ſouldain qu’elle eſtoit morte: car elle n’y auoit trouué aucune reſpiration: dont comme forcenée & hors de ſoy , courut l’annoncer à la me- re , laquelle effrenée comme vn tigre, qui a perdu ſes faons , entra ſoudaine- ment en la chambre de ſa fille , & elle l’ayant aduiſée en ſi piteux eſtat, la pen- ſant morte ſ’eſcria . Ah , mort cruelle qui as mis fin à toute ma ioye & felici- té , execute le dernier fleau de ton ire contre moy, de peur que ne me laiſſant viure le reſte de mes iours en triſteſſe, mon martyre ne ſoit augmenté . Lors elle ſe print tellement à ſouſpirer qu’il ſembloit que le cueur luy deuſt fendre, & ainſi qu’elle renforçoit ſes criz, voi- cy le pere , le Comte Paris , & grand trouppe de gentils-hommes & damoi- ſelles , qui eſtoient venuz pour honno- rer la feſte , leſquels ſi toſt qu’ils eurent le tout entendu , menerent tel dueil, que qui euſt veu lors leurs contenan- ces , il euſt peu aiſément iuger que c’e- ſtoit la iournée d’ire & de pitié, ſpeciale- ment le ſeigneur Anthonio , lequel a- uoit le cueur ſi ſerré qu’il ne pouuoit ny plourer ny parler,& ne ſçachant que fai re manda incontinẽt querir les plus ex- perts medecins de la ville,leſquels apres s’eſtre enqueſtez de la vie paſſée de Iul- liette iugerent d’vn commun rapport qu’elle eſtoit morte de melancholie, & lors les douleurs commencerent à ſe re- nouueller. Et ſi oncques iournée fut la- mentable,piteuſe,malheureuſe&fatale, certainement ce fut celle en laquelle la mort de Iulliette fut publiée par Veron ne:car elle eſtoit tãt regrettée des grãds & des petits,qu’il ſembloit à voir les cõ- munes plaintes que toute la republique fuſt en peril,& nõ ſãs cauſe.Car outre la naifue beauté acõpaignée de beaucoup de vertuz,deſquelles nature l’auoit enri- chie,encores eſtoit elle tant humble,ſa- ge & debonnaire, que pour ceſte humi- lité & courtoiſie,elle auoit ſi bien deſro- bé les cueurs d’vn chacun, qu’il n’y auoit celuy qui ne lamẽtaſt ſon deſaſtre. Com me ces choſes ſe demenoient, frere Laurens deſpeſcha en diligence vn beau pere de ſon couuent nommé frere An- ſelme , au quel il ſe fioit comme en luy meſme, & luy donna vne lettre eſcripte de ſa main & luy commanda expreſſe- ment ne la bailler à autre qu’à Rhomeo, en laquelle eſtoit contenu tout ce qui eſtoit paſſé entre luy & Iulliette nom- mant la vertu de la pouldre,& luy man- doit qu’il euſt à venir la nuict ſuyuante, par ce que l’operation de la pouldre prendroit fin , & qu’il emmeneroit Iul- liette auec luy à Mãtouë en habit diſsi- mulé iuſques à ce que la fortune en euſt autrement ordonné . Le cordelier fiſt ſi bonne diligence qu’il arriua à Mantouë, peu de temps apres . Et pour ce que la couſtume d’Italie eſt que les cordeliers doibuent prendre vn cõpaignon à leur couuent pour aller faire leurs affaires par ville : le cordelier ſ’en va à ſon cou- uent , mais depuis qu’il y fut entré , il ne luy fut loiſible de ſortir à ce iour com me il penſoit, par ce que quelques iours auant il eſtoit mort quelque religieux au couuent ( comme on diſoit ) de pe- ſte : parquoy les deputez de la ſanté a- uoient deffendu au gardien que les cordeliers n’euſſent à aller par ville , ny communiquer auecques aucun des ci- toyens , tant que meſsieurs de la iuſtice leur euſſent donné permiſsion , ce qui fut cauſe d’vn grãd mal, cõme vous ver- rez cy apres. Ce cordelier eſtant en ce- ſte perplexité de ne pouuoir ſortir, ioint auſsi qu’il ne ſçauoit ce qui eſtoit con- tenu en la lettre , voulut differer pour ce iour. Ce pendant que ces choſes e- ſtoient en ceſt eſtat,on ſe prepara à Ve- ronne pour faire les obſeques de Iul- liette.Or ont vne couſtume,qui eſt vul- gaire en Italie de mettre tous les plus apparẽts d’vne ligne en vn meſme tom- beau,qui fut cauſe que Iulliette fut miſe en la ſepulture ordinaire des Capellets, en vn cymitiere pres l’eglise des corde- liers, ou meſmes Thibault eſtoit enter- ré. Et ſes obſeques paracheuées hono- rablement, chacun s’en retourna, auſ- quelles Pierre ſeruiteur de Rhomeo a- uoit aſsiſté , car comme nous auons dict cy deuant,ſon maiſtre l’auoit ren- uoyé de Mantouë à Veronne faire ſet- uice à ſon pere , & l’aduertir de tout ce qui ſe baſtiroit en ſon abſence à Ve- ronne. Et ayant veu le corps de Iulliet- te enclos dedans le tombeau , iugeant comme les autres qu’elle eſtoit morte, print incontinent la poſte , & fiſt tant par ſa diligence qu’il arriua à Mantouë ou il trouua ſon maiſtre en ſa maiſon acouſtumée, auquel il diſt( ayãt ſes yeux tous mouillez de groſſes larmes ) Mon- ſeigneur,il vous eſt ſuruenu vn accident ſi eſtrange, que ſi ne vous armez de con ſtance , i’ay peur d’eſtre le cruel mini- ſtre de voſtre mort . Sçachez monſei- gneur que depuis hier matin ma da- moiſelle Iulliette a laiſſé ce monde pour chercher repos en l’autre, & l’ay veuë en ma preſence receuoir ſepulture au cyme tiere de ſainct François . Au ſon de ce triſte meſſage , Rhomeo commença à mener tel dueil qu’il ſembloit que ſes eſprits ennuyez du martyre de ſa paſ- ſion , deuſſent à l’inſtant habandonner ſon corps , mais forte amour qui ne le peut permettre faillir iuſques à l’extre- mité, luy meiſt en ſa fantaſie que s’il pou uoit mourir aupres d’elle, ſa mort ſeroit plus glorieuſe, & elle ( ce luy ſembloit) mieux ſatisfaicte . A raiſon dequoy a- pres ſ’eſtre laué la face de peur qu’on congneuſt ſon dueil , il part de ſa cham- bre , & deffend à ſon ſeruiteur de ne le ſuyure, puis il s’en va par tous les cantõs de la ville , chercher s’il pourroit trou- uer remede propre à ſon mal. Et ayant aduiſé entre autres, la boutique d’vn a- potiquaire aſſez mal peuplée de boittes, & autres choſes requiſes à ſon eſtat, & penſa lors en luy meſmes que l’extre- me pauureté du maiſtre le feroit volon- tiers conſentir à ce qu’il pretendoit luy demander . Et apres l’auoir tiré à part, luy diſt en ſecret : Maiſtre voila cin- quante ducats que ie vous donne & me deliurez quelque violente poiſon, laquelle en vn quart d’heure face mou- rir celuy qui en vſera . Le malheuteux vaincu d’auarice luy accorda ce qu’il luy demandoit , & faignant luy donner quelque autre medecine deuant les gents , luy prepare ſoudainement le ve- nin,puis luy diſt tout bas. Monſeigneur ie vous en donne plus que n’auez be- ſoing : car il n’en fault que la moictié pour faire mourir en vne heure le plus robuſte homme du monde , lequel a- pres auoir ſerré ſon venin , s’en retour- na à ſa maiſon , ou il commanda à ſon ſeruiteur qu’il euſt à partir en diligence, & s’en retourner à Veronne, & qu’il feiſt prouiſion de chandelles, de fuzil, & d’inſtrumens propres pour ouurir le ſepulchre de Iulliette , & ſur tout que il ne failliſt à l’attendre ioignant le cy- metiere de ſaint François, & ſur la vie qu’il ne diſt à perſonne ſon deſaſtre: à quoy Pierre obeyſt en la forme que ſon maiſtre luy auoit commandé , & fiſt ſi bonne diligence qu’il arriua de bonne heure à Veronne donnant or- dre à tout ce qui luy eſtoit enchargé. Rhomeo ce pendant ſollicité de mor- tels penſemens ſe fiſt apporter ancre & papier , & miſt en peu de paroles tout le diſcours de ſes amours par eſcript, les nopces de luy & de Iulliette , le moyen obſerué en la conſommation d’icelles le ſecours de frere Laurens, l’a- chapt de ſa poiſon,finablement ſa mort, puis ayant mis fin à ſa triſte tragedie, il ferma les lettres , & les cachetta de ſon cachet,puis miſt la ſuperſcription à ſon pere, & ſerrant ſes lettres en ſa bourſe,il monte à cheual & fiſt ſi bonne diligen- ce qu’il arriua par les obſcures tenebres de la nuict en la cité de Veronne auaut que les portes fuſſent fermées,ou il trou ua ſon ſeruiteur qui l’atendoit, auec lan- terne & inſtruments deſſuſdits, propres pour ouurir le ſepulchre , auquel il diſt. Pierre aide moy à ouurir ce ſepulchre,& ſi toſt qu’il ſera ouuert ie te commande ſur peine de la vie , de n’approcher de moy,ny de mettre empeſchement à cho ſe que ie vueille executer. Voila vne let- tre que tu preſenteras demain au matin à mõ pere à ſon leuer,laquelle peut eſtre luy ſera plus agreable que tu ne penſes. Pierre ne pouuãt imaginer queleſtoit le vouloir de ſon maiſtre , s’eſloigna quel- que peu,à fin de cõtempler ſes geſtes & contenances. Et lors que le cercueil fut ouuert , Rhomeo deſcend deux degrez tenant ſa chandellle en la main, & com- mença à aduiſer d’vn œil piteux le corps de celle qui eſtoit l’organe de ſa vie,puis l’ayant arrouſée de ſes larmes & baiſé e- ſtroictement la tenant entre ſes bras ne ſe pouuant reſſaſier de ſa veuë, miſt ſes crainctiues mains ſur le froid eſtomach de Iulliette , & apres l’auoir maniée en pluſieurs endroicts,& n’y pouuãt aſſeoir aucun iugement de vie, il tire ſa poiſon de ſa boitte, & en ayant auallé vne grã- de quantité , il s’eſcrie : O Iulliette de laquelle le monde eſtoit indigne, quelle mort pourroit eſlire mon cueur,qui luy fuſt plus agreable que celle qu’il ſeuffre pres de toy: quelle ſepulture plus glo- rieuſe,que d’eſtre enfermé en ton tom- beau?quel plus digne ou excellent epi- taphe ſe pourroit ſacrer à la mémoire que ce mutuel & piteux ſacrifice de noz vies?& cuidãt rẽforcer ſon dueil le cueur luy cõmença à fremir pour la violẽce du venin, lequel peu apeu s’ẽparoit de ſon cueur,& regardãt çà & lá auiſa le corps de Thibault pres de celuy de Iulliet- te, lequel n’eſtoit encores du tout pu- trifié, parlant à luy comme s’il euſt eſté vif, diſoit : Couſin Thibault en quelque lieu que tu ſois , ie te crye maintenant merci de l’offenſe q̃ ie te feis de te priuer de vie, & ſi tu ſouhaites vẽgẽce de moy, quelle autre plus grande ou cruelle ſa- tisfaction ſçaurois tu deſormais eſperer, que de voir celuy qui t’a meffaict , em- poiſonné de ſa propre main, & enſeuely à tes coſtez ? Puis ayant mis fin à ce pro- pos, ſentant peu à peu la vie luy deffail- lir, ſe proſternant à genoulx, d’vne voix foible diſt aſſez bas : Seigneur Dieu, qui pour me racheter es deſcendu du ſein de ton pere , & as prins chair humaine au ventre de la Vierge:Ie te ſupplie pren dre compaſsion de ceſte pauure ame af- fligée:car ie congnois bien,que ce corps n’eſt plus que terre:puis ſaiſy d’vne dou- leur deſeſperée ſe laiſſa tomber ſur le corps de Iulliette, de telle vehemence, que le cueur attenué de trop grand tour ment , ne pouuant porter vn ſi dur & dernier effort,demeura habandonné de tous les ſens & vertuz naturelles , en fa- çon que le ſiege de l’ame luy faillit à lin- ſtant , & demeura roide eſtendu . Frere Laurens qui congnoiſſoit le periode cer tain, de l’operation de ſa pouldre,eſmer- ueillé qu’il n’auoit aucune reſponſe de la lettre qu’il auoit enuoyee à Rhomeo, par ſon compaignon frere Anſelme,ſ’en part de ſainct François : & auec inſtru- ments propres, deliberoit d’ouurir le ſe- pulchre, pour donner air à Iulliette, la- quelle eſtoit preſte à ſ’eueiller. Et appro chant du lieu, il aduiſa la clarté dedans, qui luy donna terreur, iuſques à ce que Pierre,quieſtoit pres,l’euſt acertené,que Rhomeo eſtoit dedans , & n’auoit ceſſé de ſe lamenter & plaindre , depuis de- mie heure.Et lors ils entrerẽt dedans le ſepulchre , & trouuans Rhomeo ſans vie, menerent vn dueil,tel que peuuent apprehender ceulx qui ont aimé quel- qu’vn de parfaicte amitié. Et ainſi qu’ils faiſoient leurs plainctes,Iulliette ſortant de ſon extaſe , & aduiſant la ſplendeur dans ce tombeau, ne ſçachant ſi c’eſtoit ſonge ou fantoſme, qui apparoiſſoit de- uant ſes yeulx. Reuenant à ſoy recon- gneut frere Laurens,auquel elle diſt:Pe- re ie vous prie au nom de Dieu , aſſeu- rez moy de voſtre parolle:car ie ſuis tou- te eſperdue. Et lors frere Laurens , ſans luy rien deguiſer( par ce qu’il ſe craignoit d’eſtre ſurprins, pour le trop long ſeiour en ce lieu,luy racompta fidellement,cõ- me il auoit enuoyé frere Anſelme vers Rhomeo à Mantouë, duquel il n’auoit peu auoir reſpõſe: Toutesfois qu’il auoit trouué Rhomeo au ſepulchre,mort, du- quel il luy monſtra le corps eſtẽdu,ioin- gnant le ſien: la ſuppliant au reſte, de porter patiemment l’infortune ſurue- nue, & que,ſ’il luy plaiſoit, il la condui- roit en quelque monaſtere ſecret de fem mes, ou elle pourroit( auec le temps )mo derer ſon dueil , & donner repos à ſon ame. Mais à l’inſtant qu’elle eut getté l’œil ſur le corps mort de Rhomeo, elle commença à deſtoupper la bonde à ſes larmes , par telle impetuoſité , que ne pouuant ſupporter la fureur de ſon mal, elle halletoit ſans ceſſe ſur ſa bouche, puis ſe lançant ſur ſon corps , & l’em- btaſſant eſtroictement, il ſembloit qu’à force de ſouſpirs & de ſanglots,elle deuſt le viuifier & remettre en eſſẽce. Et apres l’auoir baiſé & rebaiſé, vn million de fois,elle ſ’eſcria. Ah! doulx repos de mes penſées,&de tous les plaiſirs que iamais i’eu,as tu bien eu le cueur ſi aſſeuré,d’eſ- lire ton cymetiere en ce lieu, entre les bras de ta parfaicte amãte, & de finir le cours de ta vie à mon occaſion , en la fleur de ta ieuneſſe, lors que le viure te deuoit eſtre plus cher & delectable? com ment ce tendre corps a il peu reſiſter au furieux combat de la mort, lors qu’elle ſ’eſt preſentée ? comment ta tẽdre & de- licate ieuneſſe a elle peu permettre de ſon gré, que tu te ſois cõfiné en ce lieu, ord & infect , ou tu ſeruiras deſormais de paſture à vers,indignes de toy?Helas! helas ! quel beſoing m’eſtoit il mainte- nant,que les douleurs ſe renouuellaſſent en moy, que le temps & ma longue pa- tience deuoient enſeuelir & eſteindre. Ha miſerable& chetiue que ſuis,penſant trouuer remede à mes paſsions! i’ay eſ- moulu le couteau , qui a faict la cruelle playe dont ie reçoy le mortel domma- ge. Ah heureux & fortuné tombeau,qui ſeruiras es ſiecles futurs de teſmoing de la plus parfaicte alliance,qu’ont les deux plus fortunez amãs qui furent oncques. Reçoy maintenãt les derniers ſouſpirs, & acces, du plus cruel de tous les cruels ſubiects d’ire & de mort. Et comme elle penſoit continuer ſes plainctes . Pierre aduertit frere Laurens,qu’il entendoit vn bruit,pres de la citadelle,duquel inti- midez, ils ſ’eſloignerent promptement, craignants eſtre ſurpris. Et lors Iulliette ſe voyant ſeule,& en pleine liberté,print de rechef Rhomeo entre ſes bras,le bai- ſant par telle affection, qu’elle ſembloit eſtre plus attaincte d’amour , que de la mort. Et ayant tiré la dague que Rho- meo auoit ceincte à ſon coſté ſe donna de la poincte pluſieurs coups au trauers du cueur, diſant d’vne voix foible & pi- teuſe: A mort fin de malheur,& cõmen- cement de felicité,tu ſois la bien venuë: ne crains à ceſte heure de me darder , & ne donne aucune dilation à ma vie, de peur que mon eſprit ne trauaille à trou- uer celuy de mon Rhomeo,entre tãt de morts. Et toy mõ cher ſeigneur & loyal eſpoux Rhomeo , ſ’il te reſte encores quelque congnoiſſance, reçoy celle que tu as ſi loyaument aimée, & qui a eſté cauſe de ta violẽte mort: laquelle t’offre volontairement ſon ame, à fin qu’autre que toy ne ſoit iouïſſant de l’amour que ſi iuſtemẽt auois cõquis.Et à fin que noz eſprits, ſortans de ceſte lumiere, ſoient eternellement viuans enſemble, au lieu d’eternelle immortalité. Et ces propos a- cheuez, elle rendit l’eſprit. Pendant que ces choſes ſe demenoient , les gardes de la ville paſſoient fortuitement par lá au- pres, leſquels aduiſans la clarté en ce tõ- beau , ſoupçonnerent incontinent que c’eſtoient Nicromanciens, qui auoient ouuert ce ſepulchre , pour abuſer des corps morts, & ſ’en aider en leur art. Et curieux de ſçauoir ce qui en eſtoit,entre- rent au cercueil, ou ils trouuerent Rho- meo & Iuliette , ayants les bras laſſez, au col l’vn de l’autre,comme ſ’il leur euſt reſté quelque marque de vie . Et apres les auoir bien regardez à loiſir, cogneu- rent ce qui en eſtoit : & lors tous eſton- nez , chercherent tant çà & lá, pour ſur- prendre ceux qu’ils penſoient auoir faict le meurtre , qu’ils trouuerent en fin le beaupere frere Laurens, & Pierre, ſerui- teur du deffunct Rhomeo, (qui c’eſtoiẽt cachez ſoubs vn eſtau)leſquels ils mene- rẽt aux priſons,& aduerirẽt le ſeigneur de l’Eſcale, & les Magiſtrats de Veron- ne, de l’inconuenient ſuruenu : lequel fut publié en vn inſtant par toute la ci- té. Vous euſsiez veu lors tous les citoy- ens,auec leurs femmes & enfans,haban- donner leurs maiſons pour aſsister à ce piteux ſpectacle . Et à fin qu’en preſen- ce de tous les citoyens le meurtre fuſt publié : les Magiſtrats ordonnerent que les deux corps morts, fuſſent erigez ſur vn theatre, à la veuë de tout le monde, en la forme qu’ils eſtoient, quand ils fu- rent trouuez au ſepulchre . Et que Pier- re & frere Laurens, ſeroient publique- ment interrogez,à fin qu’auparapres on n’en peuſt murmurer, ou pretendre au- cune cauſe d’ignorance. Et ce bon vieil- lard de frere, eſtant ſur le theatre, ayant ſa barbe blanche toute baignée de groſ- ſes larmes: les iuges luy commanderent qu’il euſt à declarer , ceulx qui eſtoient autheurs de ce meurtre , attendu que à heure induë il auoit eſté apprehendé a- uec quelques ferremens pres le ſepul- chre . Frere Laurens homme rond, & li- bre en parolle,ſans ſ’eſmouuoir aucune- ment pour l’accuſation propoſée , leur diſt, auec vne voix aſſeurée . Meſsieurs, il n’y a celuy d’entre vous, (que ſ’il veult auoir eſgard à ma vie paſſée , & à mes vieux ans,& au triſte ſpectacle,ou la mal- heureuſe fortune m’a maintenant re- duict) qui ne ſoit grandemẽt eſmerueil- lé,d’vne tant ſoubdaine & ineſperée mu tation : attendu que depuis ſoixante & dix ou douze ans,que ie feis mon entrée ſur la terre,& que ie cõmençay à eſprou- uer les vanitez de ce monde, ie fus onc- ques attainct, tant ſ’en fault conuaincu de crime aucun, qui me ſceuſt faire rou- gir, encores que ie me recongnoiſſe de- uant Dieu , le plus grand & abomina- ble pecheur de la trouppe , ſi eſt-ce tou- tesfois , que lors que ie ſuis plus preſt à rendre mon compte , & que les vers, la terre & la mort m’adiournent à tous les momens du iour,à comparoiſtre deuant la Iuſtice de Dieu , ne faiſant plus autre choſe qu’abbayer mon ſepulchre . C’eſt l’heure ( ainſi comme vous vous perſua- dez ) en laquelle ie ſuis tombé au plus grand intereſt & preiudice de ma vie, & de mon honneur . Et ce qui a engen- dré ceſte ſiniſtre opinion de moy en voz cueurs, ſont ( peult eſtre ) ces groſſes lar- mes, qui decoullent en abondance deſ- ſus ma face : comme ſ’il ne ſe trouuoit pas en l’eſcripture ſaincte,que Ieſuſchriſt euſt ploré,eſmeu de pitié & compaſsion humaine,& meſmes que le plus ſouuent elles ſont fidelles meſſageres de l’inno- cence des hõmes.Ou bien,ce qui eſt plus probable, c’eſt l’heure ſuſpecte,& les fer- remens, comme le Magiſtrat a propoſé, qui me rendent coulpable des meurtres, cõme ſi les heures n’auoiẽt pas toutes e- ſté crees du Seigneur eſgales:& ainſi que luy meſmes a enſeigné,il y en a douze au iour, monſtrant par cela qu’il n’a point acception d’heures,ny de momens, mais qu’on peult faire bien ou mal à toutes indifferemmẽt,ainſi que la perſonne eſt guidée, ou delaiſſée de l’eſprit de Dieu. Quant aux ferremens, deſquels ie fuz trouué , ſaiſy , il n’eſt ia beſoing mainte- nant de vous faire entendre, pour quel vſage a eſté crée le fer premierement,& comme de ſoy il ne peult rien accroiſtre en l’homme de bien ou de mal , ſinon par la maligne volonté de celuy qui en abuſe. Ce que i’ay bien voulu mettre en auant pour vous faire entendre que ny mes larmes , ny le fer , ny l’heure ſuſpe- cte, ne me peuuẽt conuaincre du meur- tre, ne me rendre autre que ie ſuis: mais ſeulement le teſmoignage de ma pro- pre conſcience , lequel ſeul me ſeruiroit (ſi i’eſtois coulpable )d’accuſateur,de teſ- moing, & de bourreau. Laquelle (veu l’aage ou ie ſuis, & la reputation que i’ay eu le paſſé entre vous , & le petit ſeiour que i’ay plus à faire en ce monde ( me deuroit plus tourmenter la dedans,que toutes les peines mortelles qu’on ſçau- roit propoſer.Mais(la grace à mõ Dieu) ie ne ſens aucun ver, qui me ronge, ne aucun remors qui me picque, touchant le faict , pour lequel ie vous voy tous troublez, & eſpouuentez. Et à fin de mettre voz ames en repos , & pour e- ſteindre les ſcrupules,qui pourroiẽt tour menter deſormais voz conſciences , ie vous iure ſur toute la part que ie pre- tends au Ciel , de vous faire entendre maintenãt de fonds en cõble,le diſcours de ceſte piteuſe tragedie , de laquelle vous ne ſerez ( peult eſtre) moins eſmer- ueillez,que ces deux pauures paſsionnez amans, ont eſté forts & patiens , à ſ’ex- poſer à la miſericorde de la mort, pour la feruente, & indiſſoluble amytié qu’ils ſe ſont portez. Et lors le beaupere com- mença à leur deſduyre le commence- ment des amours de Iulliette & de Rho meo:leſquelles apres auoir eſté par quel- que eſpace de temps confirmées c’eſtoit enſuyui,par parolles de preſent, promeſ- ſe de mariage entre eulx, ſans qu’il en ſceuſt rien . Et comme (quelques iours apres) les amans ſe ſentans aguillonnez d’vne amour plus forte, ſ’eſtoient adreſ- ſez à luy, ſoubs le voille de confeſsion, atteſtans tous deux par ſerment, qu’ils eſtoient mariez , & que ſ’il ne luy plai- ſoit ſolenniſer leur mariage,en face d’E- gliſe, ils ſeroient contraincts d’offenſer Dieu, & viure en concubinage. En con- ſideration dequoy , & meſmes voyant l’alliance eſtre bonne & conforme en dignité, richeſſe & nobleſſe, de tous les deux coſtez: eſperãt par ce moyen( peult eſtre )reconcilier les Monteſches & Cap pellets enſemble, & faire œuure agrea- ble à Dieu, leur auoit donné la benedi- ction en vne chappelle : dont la nuict meſme ils auoient conſommé leur ma- riage, au palais des Cappellets : dequoy la femme de chambre de Iulliette pour- roit encores depoſer . Adiouſtant puis apres le meutre de Thibault , couſin de Iulliette,eſtre ſuruenu : à raiſon duquel le ban de Rhomeo ſ’eſtoit enſuiuy , & comme en l’abſence dudict Rhomeo, le mariage eſtant tenu ſecret entre eulx, on l’auoit voulu marier au Comte Pa- ris,dequoy Iulliette indignée ſ’eſtoit pro ſternée à ſes pieds , en vne chappelle de l’egliſe ſainct François auecques vne ferme eſperance de ſe occire de ſes pro- pres mains , s’il ne luy donnoit con- ſeil au mariage accordé par ſon pere a- uec le Comte Paris . Adiouſtant pour concluſion , encores qu’il euſt reſolu en luy-meſme (pour vne apprehenſion de vieilleſſe & de mort ) d’aborrer toutes les ſciences cachées , auſquelles il ſ’eſ- toit delecté en ſes ieunes ans : touteſ- fois preſſé d’importunité & de pitié, & craignant que Iulliette exerceaſt cruau- té contre elle meſme , il auoit eſlar- gy ſa conſcience , & mieulx aymé don- ner quelque legiere attaincte à ſon a- me , que de ſouffrir que ceſte ieune da- moiſelle deffiſt ſon corps & miſt ſon a- me en peril . Et partant auoit deſployé ſon ancien artifice , & luy auoit baillé certaine pouldre pour l’endormir, par le moyen de laquelle on l’auoit iugée mor- te. Leur faiſant puis apres entẽdre,cõme il auoit enuoyé frere Anſelme aduertir Rhomeo par vne lettre de toutes leurs entreprinſes, duquel il n’auoit encores eu reſponſe: deduiſant apres par le me- nu,comme il auoit trouué Rhomeo au ſepulchre mort, lequel( comme il eſtoit vray ſemblable ) s’eſtoit empoiſonné ou eſtouffé. Eſmeu de iuſte dueil qu’il auoit de trouuer Iulliette en ceſt eſtat la pen- ſant morte , puis pourſuyuant ſon diſ- cours , leur declara comme Iulliette s’e- ſtoit tuée elle meſme de la dague de Rhomeo, pour l’accompaigner apres ſa mort, & comme il ne leur auoit eſté poſ- ſible de la ſauluer pour le bruict ſuruenu des gardes qui les auoient contraincts de s’eſcarter. Et pour plus ample appro- bation de ſon dire, il ſupplia le ſeigneur de Veronne & les magiſtrats d’enuoyer à Mantouë querir frere Anſelme , ſça- uoir la cauſe de ſon retardemẽt, de voir le contenu des lettres qu’il auoit en- uoyées à Rhomeo , de faire interroger la dame de chambre de Iulliette,& Pier- re ſeruiteur de Rhomeo,lequel ſans at- tendre qu’on en fiſt autre enqueſte, leur diſt: Meſsieurs ainſi que Rhomeo vou- lut entrer au ſepulchre , il me bailla ce paquet( à mon aduis eſcript de ſa main) lequel il me commanda expreſſement preſenter à ſon pere. Le paquet ouuert ils trouuent entierement tout le conte- nu de l’hiſtoire , meſmes le nom de l’a- pothicaire qui luy auoit vendu la poi- ſon , le prix, & l’occaſion pour laquelle il en auoit vſé. Et fut le tout ſi bien li- quidé,qu’il ne reſtoit autre choſe pour la verification de l’hiſtoire,ſinon d’y auoir eſté preſens à l’execution : car le tout e- ſtoit ſi bien declaré par ordre qu’il n’y auoit plus aucun qui en fiſt doubte. Et lors le ſeigneur Barthelemy de l’Eſcale, (qui commandoit de ce temps lá à Ve- ronne ) apres auoir le tout communi- qué aux magiſtrats, fut d’aduis que la dame de chambre de Iulliette fuſt ban- nie,pour auoir celé au pere de Rhomeo ce mariage claudeſtin, lequel,s’il euſt e- ſté manifeſté en ſa ſaiſon, euſt eſté cauſe d’vn treſgrand bien. Pierre pource qu’il auoit obey à ſon maiſtre fut laiſſé en ſa premiere liberté , L’apothicaire prins, gehenné , & conuaincu, fut pendu . Le bon vieillard de frere Laurẽs, (tant pour le regard des anciens ſeruices qu’il auoit faict à la republique de Veronne , que pour la bonne vie de laquelle il auoit touſiours eſté recommandé fut laiſſé en paix , ſans aucune note d’infamie. Toutesfois qu’il ſe confina de luy meſ- me en vn petit hermitage a deux mille pres de Verõne,ou il veſquit encore de- puis cinq ou ſix ans en continuelles prie res & oraiſons, iuſques à ce qu’il fut ap- pellé de ce monde en l’autre . Et pour la compaſsion d’vn ſi eſtrange infortune, les Monteſches , & les Capellets rendi- rent tant de larmes,qu’auec leurs pleurs ils euacuerent leurs coleres , de ſorte que deſlors ils furent reconciliez,&ceux qui n’auoiẽt peut eſtre moderez par au- cune prudence ou conſeil humain, fu- rent en fin vaincuz & reduicts par pi- tié. Et pour immortaliſer la mémoire d’vne ſi parfaicte & acomplie amitié. Le ſeigneur de Veronne ordonna que les deux corps de ces pauures paſsionnez demourroiẽt enclos au tombeau auquel ils auoient finy leur vie , qui fut erigé ſur vne haulte colonn de marbre, & honoré d’vne infinité d’excellens epita- phes . Et eſt encores pour le iourd’huy en eſſence : de ſorte qu’entre toutes les plus rares excellences qui ſe retrouuent en la cité de Veronne, il ne ſe veit rien de plus celebre que le monument de Rhomeo & de Iulliette.
FIN DE LA TROISIES. HIST.
AV SEIGNEVR DE LAV- nay breton francois de Belleforeſt Comingeois.
sonet.
Celuy qui ſanglamment a chanté les erreurs Des humains, & a fait triſtes les plus ioyeux: Et qui des bien viuans a humectez les yeux De ris, d’ennuy, de deuil, en lieſſe, & frayeurs. Celuy, qui de l’amour exprime les fureurs Sous le nom des Amãts fortunez-malheureux, S’en vient plus hardimẽt,ſanglant & furieux, De ces Amants chanter les mortelles horreurs. Et quoy que des ſaincts vers des Grecs, Latins on die, Et qu’on louë, ſans pris,d’eux touts la Tragedie La proſe de Launay nonobſtant les ſurmonte. Car eſpandant le ſang, priuant de l’ame les corps, Il accorde ſi bien des nombres les diſcords, Que ſa proſe tragique,aux vers tragiq’fait hõte.
Ou mort ou vie.
|
<*iv>
*ij<r>
<*ijv>
fran- *iij<r>
<*iiiv>
<*ivr>
<*ivv>
38<r> || <e vir>
<38v> || <e viv>
HISTOI-
39<r> || <e viir>
<39v> || <e viiv>
quel 40<r> || <e viiir>
<40v> || <e viiiv>
menta- 41<r> || f<ir>
<41v> || <f iv>
par 42<r> || f ij<r>
<42v> || <f iiv>
de 43<r> || f iij<r>
<43v> || <f iiiv>
ſem- 44<r> || f iiij<r>
<44v> || <f ivv>
ueillé 45<r> || <f vr>
<45v> || <f vv>
de 46<r> || <f vir>
<46v> || <f viv>
ble 47<r> || <f viir>
<47v> || <f viiv>
inte- 48<r> || <f viiir>
<48v> || <f viiiv>
fruict 49<r> || g <ir>
<49v> || <g iv>
ieune 50<r> || g ij<r>
<50 v> || <g ii v>
ſainct 51<r> || g iij<r>
<51v> || <g iiiv>
maiſon 52<r> || g iiij<r>
<52v> || <g ivv>
ſem- 53<r> || <g vr>
<53v> || <g vv>
de 54<r> || <g vir>
<54v> || <g viv>
ſieurs 55<r> || <g viir>
<55v> || <g viiv>
diſant 56<r> || <g viiir>
<56v> || <g viiiv>
ſi bien 57<r> || h<ir>
<57v> || <h iv>
tant 58<r> || h ij<r>
<58v> || <h iiv>
dre 59<r> || h iij<r>
<59v> || <h iiiv>
braſſer 60<r> || h iiij<r>
<60v> || <h ivv>
tecueil- 61<r> || <h vr>
<61v> || <h vv>
feſtée, 62<r> || <h vir>
<62v> || <h viv>
ſion. 63<r> || <h viir>
<63v> || <h viiv>
quoy 64<r> || <h viiir>
<64v> || <h viiiv>
conſen- 65<r> || i <ir>
<65v> || <i iv>
des 66<r> || i ij<r>
<66v> || <i iiv>
ſang 67<r> || i iij<r>
<67v> || <i iiiv>
ou ie 68<r> || i iiij<r>
<68v> || <i ivv>
celuy 69<r> || <i vr>
<69v> || <i vv>
met- 70<r> || <i vir>
<70v> || <i viv>
de 71<r> || <i viir>
<71v> || <i viiv>
ie vous 72<r> || <i viiir>
<72v> || <i viiiv>
de ſor- 73<r> || k <ir>
<73v> || <k iv>
uoit 74<r> || k ij<r>
<74v> || <k iiv>
toyens, 75<r> || k iij<r>
<75v> || <k iiiv>
bre, 76<r> || k iiij<r>
<76v> || <k ivv>
ce 77<r> || <k vr>
<77v> || <k vv>
à tes 78<r> || <k vir>
<78v> || <k viv>
gnant 79<r> || <k viir>
<79v> || <k viiv>
80<r> || <k viiir>
<80v> || <k viiiv>
les 81<r> || l <ir>
<81v> || <l iv>
remens 82<r> || l ij<r>
<82v> || <l iiv>
ſe de 83<r> || l iij<r>
<83v> || <l iiiv>
Rhomeo, 84<r> || l iiij<r>
<84v> || <l ivv>
faict 85<r> || <l vr>
<85v> || <l vv>
<172r> || <y ivr>
|